La firme multinationale comme ‘processeur d’informations’

La théorie conventionnelle de la firme multinationale a longtemps imprégné les travaux empiriques portant sur l’internationalisation des activités de R&D du fait de sa conception de l’IDE. Il s’agit de la théorie transactionnelle de la firme multinationale —encore appelée ‘théorie de l’internalisation’  7 — qui constitue l’approche ‘dominante’ de la FMN  8 , et qui a pour ambition de proposer une théorie générale de la FMN (Hennart [1991], p. 81), voire une théorie de l’existence de la firme en général (Casson [1987a], p. 133).

Cette théorie s’apparente à une approche de la firme en termes de ‘processeur d’informations’. En effet, comme nous tenterons de le montrer dans la première Partie, la théorie transactionnelle de la FMN, reprenant le cadre d’analyse de Hymer [1960], repose sur une conception informationnelle de la firme. Elle conçoit la FMN comme une solution à l’impossibilité de créer un marché externe pour le transfert de l’information constitutive de l’avantage de la firme. Focalisée sur les problèmes d’appropriabilité des actifs informationnels de la firme, la théorie transactionnelle de la FMNconçoit la caractéristique essentielle de l'IDE comme étant celle du contrôle, en particulier du contrôle de la technologie. Celui-ci doit être exercé par la firme vis-à-vis de ses filiales. C’est ce qu’expliquait P. Buckley, un des fondateurs de l’approche transactionnelle, lors de la formulation initiale de la théorie à la fin des années 1970 : ‘foreign subsidiaries can be controlled by regulation of technology inputs […]’ (Buckley [1979], p. 187). La formulation plus récente de cette problématique est identique : ‘foreign direct investment centrally incorporates the notion of control. […] Control may be exercised not only through equity shares but also through control of technology […]’  (Buckley [1997], p. 25).

La conséquence de cette conception de l’IDE sur la problématique de la localisation des activités d'innovation est la suivante : les activités de création technologique sont censées être centralisées dans le pays d’origine de la FMN, ainsi que le résume lui-même A. Rugman, un des fondateurs de la théorie de l’internalisation :

‘Vernon’s (1966, 1979) product cycle hypothesis, Dunning’s (1981) original eclectic paradigm and conventional internalisation theory as developed by Buckley and Casson (1976) and Rugman (1981) all attempt to explain the international expansion and success of MNEs building upon the premise that FSAs [firm-specific advantages] are developed in a single location and then diffused internationally through foreign direct investment rather than other entry modes […]. (Rugman & Verbeke [1997], pp. 141-2)’

Dans cette approche de la FMN centrée sur le contrôle de la technologie, le rôle des unités de recherche éventuellement expatriées est réduit à l’adaptation des produits et process de la FMN aux conditions locales de production ; en d’autres termes, les filiales sont conçues comme devant relayer l’exploitation de la technologie développée dans le pays d’origine de la firme sur les marchés internationaux. En définitive, la théorie transactionnelle de la FMN rend compte d’une logique centripète d’organisation des activités d’innovation.

Notes
7.

Suivant en cela Hennart ([1991], p. 109, note 1), nous utiliserons indistinctement les termes ‘théorie transactionnelle de la FMN’ et ‘théorie de l’internalisation’. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point dans le second Chapitre.

8.

Sur ce point, cf. Rugman [1980a], pp. 365-6 ; Grosse [1983], p. 601 ; Kay [1983], p. 305 ; Pitelis & Sugden [1991], p. 10 ; Denekamp [1995], p. 494, entre autres.