Première partie : Firmes multinationales et contrôle des avantages : une conception centripète de la multinationalisation des firmes

Dans leur diversité, les théories traditionnelles de la firme multinationale ont fait de la possession d’un avantage par la firme une condition préalable à l’investissement direct étranger : ‘[d]irect foreign investment is determined essentially by advantages that allow a firm to operate a subsidiary abroad more profitably than local competitors’ (Ragazzi [1973], p. 484). Plus précisément, le postulat de départ de la théorie est l’existence d’une firme possédant déjà un avantage spécifique dont il s’agit d’étudier l’exploitation à l’étranger, ainsi que le remarquent G. Hedlund et I. Nonaka :

‘[T]heories of the MNC […] start by assuming some kind of ‘advantage’, which is then exploited through ‘internalization’. The organization is not primary, and not endowed with the potential for creating. (Hedlund & Nonaka [1993], p. 131, souligné par les auteurs)’

En effet, l’avantage de la firme est assimilé à une donnée (Cantwell [1991a], p. 49) ou à un véritable facteur de production (Acocella [1992], p. 234), disponible préalablement à la multinationalisation de la firme. Par conséquent, cet avantage est implicitement supposé être créé dans le pays d’origine de la firme :

‘While the literature on MNC expansion offers a fairly full explanation of the industrial characteristics that give rise to the location of productive facilities abroad, it assumes […] that the monopolistic advantages which underlie foreign expansion are based in activities in the home country. (Lall [1979], p. 319)’

En ce qui concerne les activités de R&D des FMN —qui sont plus ou moins explicitement reconnues comme un input essentiel à la formation d’un avantage spécifique (cf. Howells [1990], p. 496)— le corollaire est que leur localisation, lorsqu’elle est explicitement abordée, est traitée à l’image de leur avantage spécifique, à savoir comme une donnée ; les activités de R&D sont censées être invariablement centralisées dans le pays d’origine de la firme :

‘[A]lthough not explicitly stated, many of the existing theories of the multinational firm are based on the assumption that R&D is a home-country-based activity and one that is to be safely guarded. (Cheng & Bolon [1993], p. 3)’

La séquence ainsi décrite par les théories traditionnelles de la FMN est linéaire : la FMN est une firme qui exploite à l’étranger des compétences acquises dans son pays d’origine. C’est ce qui peut expliquer le relatif désintérêt des théories traditionnelles de la FMN pour l’internationalisation des activités de R&D (Cheng & Bolon [1993], pp. 2-3).

D’un point de vue méthodologique, ces théories expliquent l’émergence des FMN par l’existence d’imperfections de marché. Dès lors, suivant en cela Hennart ([1991], p. 84), on peut distinguer deux types d’approche selon la nature de l’imperfection étudiée :

La différence entre imperfections de marché structurelles et imperfections de marché naturelles —encore appelées ‘cognitives’ ou ‘transactionnelles’— est due à J. Dunning :

Structural imperfections arise where there are barriers to competition and economic rents are earned ; where transaction costs are high ; or where the economies of interdependent activities cannot be fully captured. Cognitive imperfections arise wherever information about the product or service being marketed is not readily available, or is costly to acquire. (Dunning [1977], p. 403, souligné par l’auteur)’

En d’autres termes, les imperfections de marchés structurelles sont associées à l’existence d’avantages monopolistiques, alors que les imperfections d’ordre naturel renvoient à l’idée que les marchés sont défaillants naturellement, du simple fait qu’ils ne garantissent pas une information parfaite (Hennart [1991], pp. 82-3). C’est pourquoi J. Dunning les qualifie encore d’imperfections de marché ‘intrinsèques’ ou ‘endémiques’ (Dunning [1991a], p. 227).

Quant à la distinction entre externalités pécuniaires et externalités non pécuniaires, elle est traditionnellement attribuée à T. Scitovsky [1954]  10  : le concept d’externalité pécuniaire traduit l'effet d'un investissement initial sur le rendement d'autres investissements et donc la prééminence des liaisons marchandes dans cette séquence :

‘Investment in an industry leads to an expansion of its capacity and may thus lower the prices of it products and raise the prices of the factors used by it. The lowering of products prices benefits the users of these products; the raising of factor prices benefits the suppliers of the factors. When these benefits accrue to firms, in the form of profits, they are pecuniary external economies —Marshall called, or would have called, them (together with the benefits accruing to persons) consumers' and producers' surplus, respectively. (Scitovsky [1954], p. 147).’

Le concept d’externalité non pécuniaire, encore désigné sous le label d’économie externe ‘technologique’, a été initialement étudié dans la littérature pour rendre compte d'une particularité de certaines fonctions de production dans les cas, observés par J. Meade ([1952], p. 56), où l'output d'une firme ne dépend pas seulement de ses facteurs de production, mais aussi de l'activité d'autres firmes, c'est-à-dire de leurs outputs et de leurs facteurs de production (Scitovsky [1954], pp. 144-5). Ces externalités technologiques renvoient à une catégorie analytique plus générale d'interaction directe qui est caractérisée ainsi par Bator :

‘Such interaction, whether it involves producer-producer, consumer-consumer, producer-consumer, or employer-employee relations, consists in interdependences that are external to the price system, hence unaccounted for by market valuations. Analytically, it implies the nonindependence of various preference and production functions. (Bator [1958], p. 358)’

Les externalités non pécuniaires rendent ainsi compte de l’existence d’interdépendances qui ne transitent pas par le mécanisme du marché.

Notes
10.

T. Scitovsky s’inspire lui-même de la distinction classique opérée par Viner entre ‘économie externe pécuniaire’ et ‘économie externe technologique’ ; cf. Viner, J. [1931], ‘Cost Curves and Supply Curves’, Zeitschrift für Nationalökonomie, vol. 3, pp. 23-46.