Chapitre 2 : Imperfections de marché naturelles et multinationalisation centripète de la R&D : Une analyse critique de la théorie de l’internalisation comme approche dominante de la FMN

La théorie de l’internalisation repose sur deux axiomes de portée générale (Buckley [1988], pp. 181-2) : les firmes décident de la localisation de leurs activités en fonction des coûts relatifs afférents ; les firmes croissent en substituant des marchés internes à des marchés externes imparfaits ou inexistants, jusqu’à ce que les coûts de l’internalisation dépassent ses bénéfices. À cet égard, ainsi que le note Buckley ([1992], p. 62), la théorie de l’internalisation participe donc d’une approche marginaliste qui subordonne la procédure d’internalisation à la maximisation du profit, à travers l’examen des coûts de transaction marginaux supportés dans le cadre du remplacement de marchés internes à des marchés externes imparfaits. Cette perspective avait clairement été explicitée dans Casson ([1979], p. 55), par exemple. Le choix d’un tel type d’approche peut s’expliquer, selon Buckley ([1993a], p. 198), par le fait que la théorie de l’internalisation découle de la théorie néo-classique de la firme.

Au terme de la théorie de l’internalisation, le lien entre le processus d’internalisation et la multinationalisation d’une firme quelconque est le suivant : une firme multinationale est créée lorsque l’internalisation des marchés s’opère à travers les frontières du pays d’origine de la firme. C’est ce principe de base qu’exposent P. Buckley et M. Casson dans leur ouvrage pionnier  ‘the link between the internalisation of markets and the existence of MNEs is very simple : an MNE is created whenever markets are internalised across national boundaries’ (Buckley & Casson [1976], p. 45). C’est pourquoi cette théorie de la firme multinationale a été qualifiée de ‘théorie de l’internalisation’ (Buckley [1979], p. 176 ; Teece [1983], p. 51), voire de théorie ‘transactionnelle’ de la firme multinationale (Caves [1982b], p. 254) en raison de son insistance sur l’existence de coûts de transaction affectant le fonctionnement des marchés internationaux. Dans cette optique, la ‘vraie nature’ de la firme multinationale se confond avec la recherche de la minimisation des coûts de transaction qui sont censés être particulièrement élevés dans le domaine des activités internationales (Delapierre & Michalet [1989], p. 27). En bref, les expressions ‘théorie de l’internalisation’ et ‘théorie transactionnelle de la firme multinationale’ sont utilisées indifféremment dans la littérature pour qualifier les théories qui conçoivent les FMN comme des institutions économiques dont la rationalité repose sur l’internalisation de transactions à l’échelle internationale, en réponse à l’existence de coûts de transaction affectant le fonctionnement des marchés externes (Hennart [1991a], p. 109). Étant donné leur degré de généralité, A. Rugman propose de les qualifier d’approches plutôt que de théories stricto sensu (Rugman [1986], p. 104). On pourra alors parler également d’approche(s) de l’internalisation, voire d’approche transactionnelle de la firme multinationale.

Ces considérations d’ordre terminologique étant acquises, nous reviendrons, dans un premier temps (Section 1), sur les caractéristiques qui —aux yeux de A. Rugman notamment (Rugman [1980a], pp. 365-6, 370)— font de la théorie de l’internalisation une théorie intégratrice relativement aux théories l’IDE qui l’ont précédée. Nous nous attacherons ensuite à exposer la conception centripète de la multinationalisation de la R&D telle qu’elle est mise en avant par les tenants de l’approche transactionnelle (Section 2). Cette conception découle d’une tradition analytique qui fait du contrôle des avantages de la firme la raison d’être de l’IDE de nature technologique.