Chapitre 3 : d’une approche centrée sur les mécanismes d’incitation à une approche focalisée sur la coordination des activités d’innovation

Dans une contribution récente, R. Langlois et N. Foss dressent le constat selon lequel la question des coûts de production a été jusqu'à présent largement négligée dans l'économie de l'organisation. Ce résultat serait imputable à une ‘séparation des responsabilités injustifiée’ entre la théorie des prix, d'une part, et l'économie de l'organisation, d'autre part, séparation au terme de laquelle les questions productives sont restées du domaine d'explication de la première (Langlois & Foss [1999], p. 202). Celle-ci est qualifiée par Winter ([1991], p. 181) de ‘textbook orthodoxy’ : les firmes y sont caractérisées à l'aune de leurs fonctions de production respectives, la technologie étant fixée. Dans cette conception, les connaissances productives sont rarement considérées comme incomplètes ; elles sont assimilées à des ‘blueprints’, c'est-à-dire à des informations codifiées et facilement transmissibles. En particulier, la technologie n'est perçue qu'à l'image d'une ‘recette de cuisine’ spécifiant les sommes des types d'inputs requis pour la production d'outputs donnés, un changement technologique désignant alors un changement de recette (cf. Leontief [1986], p. 393). Au contraire, la notion de connaissance incomplète est au cœur de la théorie moderne de l'organisation, mais seuls les problèmes de connaissances relatives aux transactions sont pris en compte :

‘[I]mperfect knowledge (or, ‘asymmetric information’) looms large in the modern literature on the economics of organization; but here all informational imperfections –all deviations from the assumptions of the production-function formulation‑ are seen as falling exclusively in the realm of transaction costs. The result of this partition of responsibilities has been an imbalance in the economics of organization Seldom if ever have economists of organization considered that knowledge may be imperfect in the realm of production, and that institutional forms may play the role not (only) of constraining unproductive rent-seeking behavior but (also) of creating the possibilities for productive rent-seeking behavior in the first place (Langlois & Foss [1999], p. 202, souligné par les auteurs)’

Autrement dit, au terme du constat dressé par Langlois & Foss [1999], l'économie de l'organisation serait trop centrée sur les problèmes d'incitation dans un cadre transactionnel —un constat que Milgrom & Roberts [1988], pourtant attachés à ce cadre, ne sont pas loin de partager— au détriment de l'analyse du jeu des coûts de production et, en particulier, des compétences technologiques dans la détermination des frontières de la firme. Pourtant, R. Langlois et N. Foss identifient deux possibilités d'introduction des coûts de production compatibles avec un cadre respectueux des questions d'incitations :

‘One is the possibility that knowledge about how to produce is imperfect; and the second is the possibility that knowledge about how to link together one person's (or organization's) productive knowledge with that of another is also imperfect. The first possibility brings us to the issue of capabilities; the second leads to the issue of qualitative coordination. (Langlois & Foss [1999], p. 203, souligné par les auteurs).’

Or, si les questions de coordination de type qualitatif (‘qualitative coordination’) –telle qu’elle est définie dans le passage ci-dessus‑ figuraient à certains égards dans la contribution originale de Coase [1937], fondatrice de l'économie moderne de l'organisation, ces questions ont peu à peu laissé le pas à des préoccupations davantage centrées sur les problème d'incitation (Section 1). L'approche émergente en termes de compétences de la firme constitue cependant une voie alternative pour la ré-introduction des coûts de production, et des questions de coordination qualitative, dans l'économie de l'organisation (Section 2).