2.1. Compétences et ‘savoir faire’ de la firme

La distinction des différents types de savoir (2.1.1.) permet de caractériser la firme comme un ensemble de compétences irréductibles (2.1.2.).

2.1.1. Une typologie des formes de connaissances constitutives des compétences

Comme le suggère B. Loasby, les compétences doivent être analysées du point de vue des connaissances qui les composent (Loasby [1998a], p. 165). Dans cette perspective, l’auteur propose de distinguer quatre types de connaissances que l’on peut regrouper en deux couples composant chacun une dimension cognitive. La première de ces dimensions cognitives a été introduite dans l’analyse de l’organisation industrielle par Richardson ([1972], p. 895), s’inspirant de la distinction opérée par G. Ryle  64 entre le ‘savoir que’ (knowledge that) et le ‘savoir faire’ (knowledge how) :

  • le ‘savoir que’ représente des connaissances factuelles : ce type d’apprentissage est typique du produit de l’activité d’apprentissage scolaire ;
  • le ‘savoir faire’ constitue la capacité à entreprendre les actions appropriées à la réalisation d’un objectif déterminé. Il suppose la possession non seulement de compétences opérationnelles, mais également de la capacité de savoir où et quand ces compétences sont susceptibles d’être mobilisées.

On retrouve chez d’autres tenants de la TCF des typologies similaires. Ainsi B. Kogut et U. Zander  proposent-ils une distinction terminologique approchante entre ‘savoir quoi’ (knowing what) et ‘savoir faire’ (knowing how), dont les définitions respectives correspondent à celles figurant ci-dessus (cf. Kogut & Zander [1992], p. 386).

La seconde dimension cognitive mise en avant par B. Loasby se rapporte à la distinction entre les connaissances ‘directes’ et ‘indirectes’ (Loasby [1998a], p. 165). Cette distinction se superpose à la première :

  • si l’on se réfère à la distinction reprise à son compte par N. Rosenberg concernant les connaissances factuelles, le ‘savoir que’ se subdivise en deux types de connaissances : il peut être ‘direct’, au sens où un individu connaît un thème, mais il peut également être ‘indirect’, au sens où l’individu sait où trouver de l’information relative à ce thème (cf. Rosenberg [1994], p. 12) ;
  • de même, le ‘savoir faire’ peut être soit direct, soit indirect : Nelson & Winter ([1982], p. 86) distinguent ainsi le fait de ‘savoir faire’ quelque chose (knowing how to do X), qui correspond à du savoir faire ‘direct’, et le fait de ‘savoir faire faire’ quelque chose (knowing how to get X accomplished), qui correspond à du savoir faire ‘indirect’.

L’identification des deux types de connaissances permet, en retour, de mieux caractériser le profil cognitif de la firme. En effet, les catégories de ‘savoir faire’ et de ‘savoir que’ peuvent être rapprochées, respectivement, des concepts de ‘compétences’ et de ‘ressources’ (Loasby [1998a], p. 172). Or, la distinction entre compétences et ressources constitue le fondement de l’analyse que fait la TCF des stratégies des firmes. La différence entre les deux concepts est exposée en ces termes dans Grant ([1991], pp. 118-9) :

  • relativement au processus de production, les ressources constituent les inputs : parmi ceux-ci, on peut relever l’appareil de production, le capital, mais également les connaissances et les savoir faire (skills) des employés. Mais, en elles-mêmes, peu de ces ressources sont productives : l’activité productive proprement dite requiert l’existence d’une coordination entre ces ressources, c'est-à-dire de compétences ;
  • par différence, une ‘compétence’ peut être définie comme la capacité à coordonner un ensemble de ressources dans l’objectif de réaliser une tâche spécifique.

Ainsi, pour paraphraser R. Grant, si les ressources représentent les éléments constitutifs des compétences de la firme, les compétences constituent la principale source de son avantage compétitif (Grant [1991], p. 119). Car la question sous-jacente à l’ensemble des approches relevant de la TCF est la suivante, comme la résument parfaitement Teece et al. ([1997], p. 509) : comment les firmes parviennent-elles à se constituer des avantages compétitifs et à les pérenniser ? Cette question a trait au problème de la ‘soutenabilité’ des avantages compétitifs (Dierickx & Cool [1989], p. 1504), l’objectif de la TCF étant d’identifier les compétences permettant de les pérenniser, ainsi que le note B. Loasby : ‘identify those capabilities which may provide a firm with more than an evanescent advantage […]’ (Loasby [1998a], p. 173).

À cet égard, Loasby [1994] fait remarquer que la firme ne peut se résumer à une simple collection d’individus, chacun doté de savoir faire spécifiques : ‘a collection of highly talented individuals does not automatically constitute an effective organisation. That takes time, and cannot be secured by contracts alone’ (p. 253). C’est le point sur lequel insiste également R. Grant :

‘Creating capabilities is not simply a matter of assembling a team of resources: capabilities involve complex patterns of coordination between people and between people and other resources. Perfecting such coordination requires learning through repetition. (Grant [1991], p. 122)’

On retrouve ici ce qui fait la différence entre une simple ressource et une véritable compétence selon C. Prahalad et G. Hamel : une compétence est le résultat d’un processus d’apprentissage collectif dont l’objet est la coordination et l’intégration de savoir-faire individuels (Prahalad & Hamel [1990], p. 82). C’est pourquoi G. Eliasson propose de caractériser la firme comme un ‘ensemble de compétences’ (competent team) :

‘[T]he firm can be viewed as a hierarchy of ordered teams of people embodying the human competence needed to coordinate resources (machines, raw materials, labor, etc.) to generate economic value or profits. (Eliasson [1990], p. 280)’

La raison-d’être de la firme réside ainsi dans sa capacité à générer un processus de coordination efficient.

Notes
64.

Ryle, G. [1949], The Concept of Mind, Londres : Hutchinson.