2.2. Les difficultés inhérentes à l’imitation des compétences

La TCF insiste sur le caractère partiellement tacite des compétences de la firme (2.2.1.). Cette caractéristique influe sur leur degré de reproductibilité, ce qui est censé constituer un avantage compétitif pour la firme (2.2.2.).

2.2.1. La dimension tacite des compétences

On doit à S. Winter un travail typologique portant sur la nature des connaissances composant les compétences des firmes. Winter [1987] présente ainsi un continuum dont les deux pôles sont constitués par les connaissances entièrement tacites(tacit knowledge), d’une part, et par les connaissances totalement codifiées (articulable knowledge), d’autre part (ibid., p. 170). L’aspect ‘tacite’ des connaissances renvoie au fait que, selon l’expression consacrée par M. Polanyi : ‘we can know more than we can tell’ (Polanyi [1966], p. 4). Se référant explicitement à M. Polanyi, S. Winter note que nombreuses compétences individuelles (individual skills), sont de nature hautement tacite au sens où un individu réalise une tâche en observant un certain nombre de règles qui ne sont pas, pour autant, perçues comme telles par cet individu (Winter [1987], pp. 170-1). En d’autres termes, l’individu n’est pas en mesure de fournir une explication opérationnelle de ces règles, comme l’observe pertinemment M. Polanyi :

‘If I know how to ride o bicycle or how to swim, this does not mean that I can tell how I manage to keep my balance on a bicycle or keep afloat when swimming. […] I both know how to carry out these performances as a whole and also know how to carry out the elementary acts which constitute them, though I cannot tell what these acts are. (Polanyi [1964], pp. 141-2)’

Or, comme le relèvent Nelson & Winter [1982], la constitution de compétences organisationnelles (organizational capabilities) repose sur l’exercice de savoir-faire individuels. Dans la mesure où ceux-ci sont en partie tacites, puisqu’il s’agit de ‘savoir faire’ et non de ‘savoir que’, la capacité de codification des compétences organisationnelles s’en trouve amoindrie (p. 124). On peut en déduire que la firme accomplit ses objectifs en suivant des règles, ou ‘routines’, qui ne sont pas perçues en tant que telles par ses membres (Winter [1987], p. 171).

Cependant, ‘tacite’ ne veut pas dire ‘inimitable’. Aussi, dans le souci d’affiner la première distinction entre connaissances tacites et codifiées, Winter ([1987], pp. 171-2) recense quatre autres dimensions critiques de toute forme de connaissance :

  • la connaissance est-elle ‘enseignable’ ou non ? Cette dimension se rapporte à l’imitabilité de la connaissance et à sa capacité à être appropriée par d’autres individus ;
  • la connaissance est-elle ‘observable’ ou non ? Ce critère permet d’apprécier si l’utilisation d’une connaissance révèle ses éléments constitutifs. Il renvoie, en d’autres termes, à la capacité de ‘découvrir’ la connaissance, sans pour autant comprendre le processus par lequel la connaissance a été découverte (Polanyi [1964], p. 142) ;
  • la connaissance est-elle ‘simple’ ou ‘complexe’ ? Cette dimension est relative à la quantité d’informations nécessaires pour décrire une connaissance donnée ;
  • la connaissance est-elle ‘autonome’ ou constitue-t-elle un ‘élément d’un système’ ? Ce dernier aspect a trait à la capacité d’une connaissance à être auto-suffisante.

Ces questions permettent d’évaluer le degré de reproductibilité des compétences, comme nous allons le voir.