Section 2: Vers une prise en compte de la dimension centrifuge des stratégies d’innovation des firmes multinationales

Peu d’auteurs ont, jusqu’ici, explicitement étendu le cadre de la TCF. à l’analyse des firmes multinationales. Un certain nombre de contribution ont, toutefois, été spécifiquement consacrées à cette tâche (cf. Cantwell [1991b, 1998a], Kogut & Zander [1993, 1995] ; Mutinelli & Piscitello [1998], Blanc & Sierra [1999], Cohendet et al. [1999]).

L’extension du cadre d’analyse de la TCF à la prise en compte de la dimension internationale des stratégies des firmes découle ‘naturellement’, selon M. Mutinelli et L. Piscitello, du problème fondamental de ‘l’incomplétude des compétences’, sur lequel insiste la théorie (cf. supra, Section 1) : l’incapacité des firmes de constituer en interne l’ensemble des compétences requises, c'est-à-dire l’incomplétude de leurs compétences ‘internes’, les pousse à les rechercher en externe, en dehors de leurs frontières ; et lorsque ces compétences ‘externes’ sont disponibles sur des ‘marchés’  69 internationaux, la firme est incitée à développer une stratégie internationale d’accès aux compétences requises (Mutinelli & Piscitello [1998], p. 504). Aussi, d’un point de vue méthodologique, n’y a-t-il pas lieu de distinguer la théorie des compétences de la firme multinationale de la TCF ; elle ne constitue pas une théorie distincte de la firme ‑contrairement à la théorie de l’internalisation qui se veut une théorie distincte et ‘générale’ de la firme multinationale (cf. Rugman [1980a]).

Le concept de ‘marché’, tel que développé par la TCF, intègre ainsi d’emblée la dimension internationale : les marchés ne s’arrêtent pas aux frontières nationales qui constituent des barrières artificielles au regard de l’accès aux compétences, les marchés —industriels, tout au moins— étant de plus en plus ‘globalisés’, pour reprendre l’analyse de J. Cantwell :

‘[T]oday, for the companies of the leading centres, foreign technological activity now increasingly aims to tap into local fields of expertise, and to provide a further source of new technology that can be utilised internationally in the other operations of the MNC [multinational corporation]. In this respect, innovation in the leading MNCs […] has become ‘globalised’. (Cantwell [1995], p. 172)’

La TCF perme ainsi de prendre en compte la dimension centrifuge des stratégies des FMN, dont l’objectif est d’accéder à des compétences externes internationalement dispersées. Cette perspective n’est cependant pas développée au détriment de la dimension centripète ; comme nous l’avons vu, la TCF souligne la complémentarité entre les compétences internes et externes de la firme. En conséquence, les compétences strictement internes pourront être exploitées par la FMN selon une logique centripète. Mais, dans la mesure où l’analyse de la dimension centrifuge des stratégies de la FMN est absente des autres théories de la FMN, c’est sur cet apport de la TCF que nous nous focaliserons dans cette section.

Enfin, soulignons que de nombreux auteurs, que l’on peut considérer comme parmi les fondateurs la théorie de l’internalisation, ont proposé, au cours de la période récente, d’hybrider la théorie orthodoxe de la FMN en intégrant quelques-unes des hypothèses de la TCF. Il en résulte des tentatives d’amendements ad hoc de la théorie de l’internalisation portant sur deux points, en particulier. Le premier point est relatif à la conception de la connaissance. Initialement fondée sur une conception informationnelle des connaissances technologiques, la théorie de l’internalisation tente à présent d’intégrer, à la marge, la dimension tacite des avantages cognitifs de la firme, à l’image de Buckley ([1997], p. 225) ou Casson ([1997], p. 113). Le second point a trait aux sources géographiques des avantages des FMN. Initialement considérés comme strictement ‘domestiques’ dans la théorie de l’internalisation, A. Rugman admet à présent que les avantages spécifiques de la FMN ne sont pas forcément créés dans le pays d’origine de la firme, mais peuvent être créés par une filiale (Rugman & Verbeke [1992], p. 224 ; Rugman & Verbeke [1998], p. 128). Bien que ces développements contribuent utilement à prendre en compte la dimension centrifuge de l’organisation internationale des activités d’innovation des FMN, nous nous centrerons essentiellement, dans cette section, sur les perspectives issues de la TCF.

Nous présenterons ainsi, dans un premier temps (1.), les hypothèses qui sous-tendent la conception de la technologie dans la TCF, avant de montrer en quoi ces caractéristiques influent sur les choix de localisation des activités de recherche de la FMN (2.).

Notes
69.

Au sens de la TCF (cf. supra, Section 1).