De même que nous l’avons fait pour les approches présentées dans la première partie, il est possible de déduire de la théorie des compétences de la firme, proposée dans cette seconde partie, trois principales hypothèses réfutables concernant les stratégies de localisation des activités d’innovation des FMN. Ces hypothèses sont destinées à être testées dans la troisième partie.
Hypothèse HB : la décentralisation des activités d’innovation
La première hypothèse déduite de la TCF, que nous proposons de baptiser ‘Hypothèse HB’, peut être formulée de la manière suivante :
Hypothèse HB : ‘une certaine proportion des activités d’innovation des firmes multinationales a tendance à être décentralisée dans les pays hôte de l’IDE.’
Cette hypothèse découle de la conception selon laquelle les firmes doivent développer une capacité d’écoute de leur environnement (external sensing), afin d’être en mesure d’absorber des compétences ‘externes’ (Teece [1998b], p. 73). C’est pourquoi on peut en déduire qu’une certaine proportion des activités d’innovation des FMN aura tendance à être localisée en dehors de leur pays d’origine. Si nous insistons sur le fait qu’il s’agit d’une certaine proportion, c’est pour signifier que, selon la TCF, cette proportion est censée ne pas être négligeable, contrairement à l’Hypothèse HA déduite des approches exposées dans la première partie. L’ampleur de cette proportion sera évaluée dans la troisième partie.
Les deux hypothèses suivantes sont relatives à la nature des activités d’innovation réalisées par les FMN dans les pays hôtes. Autrement dit, ces hypothèses ont vocation à répondre à la question suivante : pourquoi les FMN conduisent-elles des activités de R&D hors de leur pays d’origine ?
La réponse fournie par la TCF découle du problème de ‘l’incomplétude’ des compétences de la firme, que nous avons présenté dans le Chapitre 4 : une firme peut ne pas disposer en interne de l’ensemble des compétences nécessaires à la réalisation d’une activité. En d’autres termes, les compétences ‘internes’ de la firme peuvent témoigner d’une carence. Dès lors que les compétences qui font défaut à la firme sont disponibles sur des marchés étrangers, l’IDE peut constituer un moyen d’accéder à ces compétences ‘externes’. La principale motivation pour la localisation d’activités d’innovation à l’étranger réside ainsi, pour la TCF, dans la volonté des firmes de se ménager un accès à des compétences ‘externes’. Sur cette base, deux stratégies peuvent être conçues, que traduisent les hypothèses suivantes.
Hypothèse H3 : une stratégie d’accès aux compétences complémentaires
La seconde hypothèse découlant de la TCF, que nous baptiserons ‘Hypothèse H3’, peut être exprimée en ces termes :
Hypothèse H3 : ‘les activités d’innovation entreprises par les firmes multinationales hors de leur pays d’origine ont pour objet d’accéder à des compétences technologiques complémentaires.’
La TCF prédit, en effet, que les FMN auront tendance à localiser leurs activités de recherche dans des pays qui présentent des domaines de spécialisation technologique semblables (cf. Cantwell [1991], p. 53). Les FMN qui disposent de compétences technologiques avérées tendront, en conséquence, à privilégier des ‘centres d’excellence’ ; cette stratégie suppose l’existence d’une symétrie entre les capacités technologiques du pays hôte et celles de la FMN.
La logique de cette stratégie est de constituer une veille technologique destinée à maintenir les compétences technologiques de la firme ‘à niveau’. L’Hypothèse H3 correspond ainsi à un type d’IDE mis en évidence par la littérature inspirée de la TCF et qualifié d’asset-augmenting FDI dans Narula & Dunning ([1998], p. 6).
Hypothèse H4 : une stratégie d’accès à de nouvelles compétences
Enfin la troisième hypothèse déduite de la TCF, que nous baptiserons ‘Hypothèse H4’, peut être formulée comme suit :
Hypothèse H4 : ‘les activités d’innovation entreprises par les firmes multinationales hors de leur pays d’origine ont pour objet d’accéder à de nouvelles compétences technologiques.’
Cette hypothèse est déduit de conclusions de la TCF selon lesquelles le rôle des filiales localisées à l’étranger n’est pas uniquement d’exploiter les compétences technologiques de la FMN en dehors de son pays d’origine ; leur rôle est également de constituer une source de développements technologiques de par les interactions qu’elles entretiennent avec les autres firmes et les institutions du pays hôtes. La répartition géographique des activités de recherche des FMN est ainsi étudiée afin d’accroître sa capacité de susciter des innovations technologiques (Cantwell [1991], p. 46).
La stratégie dépeinte par l’Hypothèse H4 correspond à des activités de type research listening, pour reprendre la terminologie employée dans Dunning ([1994], p. 76). Elle consiste, en définitive, à maintenir des unités de R&D dans des ‘centres d’excellence’ disposant de compétences qui font défaut à la firme dans son pays d’origine. La firme aura ainsi tendance à sélectionner des sites réputés ‘forts’ dans un domaine technologique dans lequel elles est ‘faible’. Cette stratégie suppose ainsi l’existence d’une asymétrie entre la capacité technologique du pays hôte et la capacité technologique domestique de la FMN.
Précisions que les Hypothèses H3 et H4 avancées ci-dessus doivent être appréciées comme étant complémentaires aux Hypothèses H1 et H2 déduites des approches présentées dans la première partie. En revanche, il va de soi que les Hypothèses HA et HB sont, dans une large mesure, antagonistes. Ainsi, l’ambition des Hypothèses H3 et H4 formulées ci-dessus est de contribuer à élargir la conception des stratégies de localisation des activités d’innovation des FMN. Elles n’ont aucune vocation ‘hégémonique’, au contraire des hypothèses découlant de la théorie transactionnelle de la FMN qui est conçue, par ses chefs de fil, comme la théorie générale de la firme multinationale.
La vérification de chacune de ces hypothèses, dans la troisième partie de la thèse, permettra d’évaluer la pertinence de la théorie des compétences de la firme, telle qu’elle a été formulée dans cette seconde partie. Nous apprécierons ainsi dans quelle mesure les hypothèses HA, H1 et H2, d’une part, et les hypothèses HB, H3 et H4, d’autre part, coexistent et quelle est leur importance relative.