2.1. Une première évaluation de la diversité des compétences des firmes de l’échantillon

Nous présenterons les résultats par domaines technologiques (2.1.1.), puis par nationalités de firmes présentes dans l’échantillon (2.1.2.).

2.1.1. Résultats par domaines technologiques

Le Tableau 5.4 compare, pour la période 1994-1996, le nombre de firmes de notre échantillon présentes dans un certain nombre de secteurs d’activité —sélectionnés à titre indicatif— au nombre de firmes actives dans le(s) domaine(s) technologique(s) correspondant(s) (au titre de la nomenclature DT-30), c’est-à-dire au nombre de firmes ayant déposé un brevet au moins dans ce(s) domaine(s). Dans chacun des deux cas sélectionnés, le second nombre est supérieur au premier. Ainsi, le Tableau 5.4 révèle que, sur la période 1994-1996, 14 firmes de l’échantillon exerçaient leur activité principale dans le secteur ‘automobile’ et 14 dans le secteur ‘pétrole’. Or, au cours de la même période, 172 firmes de l’échantillon avaient déposé au moins un brevet en ‘transports’ et 242 étaient actives en ‘chimie de base-pétrole’.

La lecture du Tableau 5.4 permet ainsi de confirmer le constat établi précédemment par Patel & Pavitt ([1997], p. 144) et Granstrand et al. ([1997], p. 10) selon lequel les grandes firmes multinationales mobilisent plus de compétences technologiques qu’elles ne commercialisent de produits. Ce résultat se trouve conforté par l’examen du Tableau 5.5 suivant.

Tableau 5.4. Nombre de firmes de l’échantillon présentes dans quelques secteurs d’activité, comparativement au nombre de firmes actives dans le(s) domaine(s) technologique(s) correspondant (DT-30), 1994-1996
Secteur d’activité (a) Nombre de firmes actives Domaine(s) techno. correspondant (DT-30) Nombre de firmes actives
Automobile 14 Transports 172
Pétrole 14 Chimie de base-pétrole 242
(a) Les secteurs d’activité ont été déterminés en fonction de la nomenclature utilisée par le SPRU (Université du Sussex) et comprenant 15 secteurs (cf. Patel & Vega [1997], pp. 231-40).

Le Tableau 5.5 recense le nombre de firmes relevant d’un domaine technologique (parmi 30) comparativement au nombre de firmes actives dans ce domaine technologique. Le ‘domaine technologique d’appartenance’ d’une firme est identifié, conformément à la méthodologie définie par Granstrand et al. [1997] ‑et appliquée pour la construction du Tableau 5.3 présenté plus haut‑ comme le domaine technologique dans lequel une firme dépose le plus de brevets. En d’autres termes, le domaine technologique d’appartenance d’une firme correspond à sa compétence-cœur ; la firme est alors dite ‘relever’ de ce domaine. Les firmes dites ‘actives’ dans un domaine technologique, quant à elles, sont les firmes ayant déposé au moins un brevet dans ce domaine. Ces firmes sont donc censées disposer de compétences avérées dans le domaine en question. Les domaines technologiques sont classés dans le Tableau 5.5 en fonction de la dernière colonne, c’est-à-dire en fonction du nombre d’entrées et de sorties nettes d’une période sur l’autre. Les domaines technologiques apparaissent ainsi dans le Tableau 5.5 par importance décroissante de la différence entre le nombre de firmes de l’échantillon actives en 1988-1990 et le nombre recensé en 1994-1996.

Un premier examen du Tableau 5.5 permet de confirmer les résultats obtenus dans le Tableau 5.4 en partant, cette fois-ci, non plus des secteurs d’activité principale des firmes de l’échantillon, mais de leur domaine technologique d’appartenance parmi 30 (en utilisant donc la nomenclature DT-30). Ainsi, en comparant, pour chacune des deux périodes recensées dans le Tableau 5.5, le nombre de firmes relevant d’un domaine technologique au nombre de firmes actives dans ce domaine, il apparaît que le second nombre est toujours supérieur au premier, et ceci de façon flagrante. À titre d’illustration, pour la période 1994-1996, 191 firmes sont recensées comme ayant déposé au moins un brevet en ‘informatique’, alors que 13 seulement relèvent de ce domaine technologique. Plus flagrant encore, 145 firmes étaient actives en ‘procédés thermiques’ en 1994-1996 et 121 en 1988-1990, alors qu’aucune firme ne relevait de ce domaine au cours de ces périodes. Ce constat tend à démontrer que les firmes étudiées ont élargi leurs compétences technologiques bien au-delà de leur gamme de produits (cf. Granstrand et al. [1997], p. 10).

En étudiant la cinquième colonne du Tableau 5.5 (intitulée ‘Total’), on peut faire ressortir les domaines technologiques les plus mobilisés par les firmes de l’échantilon, c’est-à-dire les domaines comprenant le plus de firmes actives. En se référant à la nomenclature DT-6, ces domaines peuvent être regroupés dans quatre groupes principaux ; il apparaît ainsi que les compétences technologiques les plus répandues parmi une grande majorité de firmes étudiées, pour les deux périodes d’investigation, étaient relatives, par ordre décroissant d’importance :

  • aux ‘procédés’ de production : 277 firmes étaient actives dans les ‘procédés techniques’ en 1994-1996 contre 235 en 1988-1990 ; 256 firmes étaient recensées en ‘travail materiaux’ en 1994-1996 et 235 en 1988-1990 ; 255 firmes avaient témoigné de compétences en ‘traitements de surface’ en 1994-1996 contre 224 en 1988-1990 ; de même pour 229 firmes en ‘matériaux et métallurgie’ en 1994-1996 et 208 en 1988-1990 ;
  • à ‘l’instrumentation’ : 319 firmes de l’échantillon avaient déposé au moins un brevet européen en ‘analyse et mesure’ en 1994-1996 contre 280 en 1988-1990 ; de même, des compétences en ‘optique’ avaient été mobilisées par 218 firmes en 1994-1996 et 188 en 1988-1990 ;
  • à la ‘chimie’ : 242 firmes étaient présentes en ‘chimie de base-pétrole’ en 1994-1996 et 201 en 1988-1990 ; 229 firmes étaient actives en 1994-1996 en ‘chimie macromoléculaire’ et 205 en 1988-1990 ; 203 firmes avaient au moins un brevet à leur actif en ‘chimie organique’ en 1994-1996 contre 175 en 1988-1990 ;
  • et, dans une moindre mesure, à ‘l’électronique et l’électricité’ : 275 firmes étaient actives dans les ‘composants électriques’ en 1994-1996 et 232 en 1988-1990 ; 191 firmes témoignaient de compétences en ‘informatique’ en 1994-1996 contre 145 en 1988-1990.

Ces résultats corroborent les travaux menés par Granstrand et al. ([1997], p. 13) et Patel & Pavitt ([1998], p. 196) qui identifient les compétences dans l’instrumentation et le contrôle, dans les technologies relatives à la production et dans les procès chimiques comme étant les plus répandues parmi les plus grandes firmes mondiales.

À l’inverse, les compétences technologiques les moins mobilisées par les firmes de notre échantillon, pour les deux périodes étudiées, étaient relatives à trois sous-composants (issus de la nomenclature DT-30) du domaine ‘machines-mécanique-transports’ (issu de la nomenclature DT-6), à savoir, comme le montre encore la cinquième colonne du Tableau 5.5, les sous-domaines technologiques ‘appareils agricoles et alimentation’, ‘techniques nucléaires’ et ‘spatial-armement’ dont chacun ne comptabilisait, respectivement, que 106, 78 et 64 firmes en 1994-1996 contre, respectivement, 79, 82 et 55 pour 1988-1990. De même que précédemment, ces résultats recoupent en partie ceux obtenus par Patel & Pavitt ([1998], p. 196) qui ont recensé, dans leur étude, les compétences liées à la maîtrise de l’énergie nucléaire et à l’avionique comme étant les moins mobilisées par les grandes firmes mondiales composant leur échantillon.

Enfin, si l’on s’intéresse à la dernière colonne du Tableau 5.6, c’est-à-dire à la différence du nombre de firmes actives dans les différents domaines technologiques d’une période sur l’autre, il apparaît que seul un domaine comptabilise des sorties nettes de firmes, à savoir le domaine ‘techniques nucléaires’. Tous les autres domaines, sans exception, témoignent d’entrées nettes dont l’importance varie néanmoins. En se référant à la nomenclature DT-6, les domaines dans lesquels le nombre de firmes actives a augmenté le plus peuvent être regroupées dans quatre groupes principaux ; d’une période sur l’autre, les compétences technologiques des firmes de l’échantillon qui ont augmenté le plus rapidement étaient ainsi liées, par ordre décroissant d’importance :

  • au domaine ‘machines-mécanique-transports’ : par rapport à 1988-1990, le nombre de firmes actives supplémentaires en 1994-1996 était de 42 en ‘manutention-imprimerie’, 39 en ‘composants mécaniques’ et en ‘transports’, 36 en ‘moteurs-pompes-turbines’ et 32 en ‘machines-outils’ ;
  • au domaine ‘procédés-chimie de base-métallurgie’ : relativement à 1988-1990, 50 firmes supplémentaires ont déposé au moins un brevet en 1994-1996 en ‘environnement-pollution’ ; de même, 42 firmes de plus ont été actives en ‘procédés techniques’, 41 en ‘chimie de base-pétrole’ et 31 en ‘traitements surface’ ;
  • au domaine ‘instrumentation’ : en 1994-1996, le nombre d’entrées nettes était de 39 en ‘analyse et mesure’, 30 en ‘optique’ et 22 en ‘ingénierie médicale’ ;
  • au domaine ‘électronique-électricité’ : en 1994-1996 comparativement à 1988-1990, 46 firmes supplémentaires sont recensées comme étant présentes en ‘informatique’, et 43 en ‘composants électriques’, ce qui constitue deux des augmentations les plus importantes.

Ces derniers résultats coïncident avec le constat que Granstrand et al. ([1997], p. 13) tirent de leur étude et selon lequel les compétences en informatique ont eu tendance à augmenter au cours de ces 20 dernières années parmi les grandes firmes mondiales.

Tableau 5.5. Présence des firmes de l’échantillon dans les différents domaines technologiques (DT-30), évolution entre 1988-1990 et 1994-1996
  1988-1990 1994-1996 Évolution
Domaine technologique (DT-30) Nb de firmes relevant du domaine (a) Nb de firmes actives dans le domaine (c) Nb de firmes relevant du domaine (a) Nb de firmes actives dans le domaine (c) Entrées (+) et sorties (-) nettes (d)
Environement - pollution (b) 118 1 168 + 50
Informatique 10 145 13 191 + 46
Composants électriques 16 232 16 275 + 43
Procédés techniques 12 235 12 277 + 42
Manutention - imprimerie 16 235 15 277 + 42
Chimie de base - pétrole 12 201 11 242 + 41
Analyse et mesure 23 280 21 319 + 39
Composants mécaniques 8 190 9 229 + 39
Transports 19 133 20 172 + 39
Moteurs - pompes - turbines 10 116 15 152 + 36
Equipement des ménages 11 189 11 225 + 36
Machines-outils 2 183 2 215 + 32
Traitements surface 4 224 2 255 + 31
B.T.P. 3 138 4 169 + 31
Optique 14 188 12 218 + 30
Télécommunications 29 158 34 187 + 29
Chimie organique 35 175 34 203 + 28
App. agricoles, alimentation 2 79 2 106 + 27
Chimie macromoléculaire 40 205 34 229 + 24
Procedes thermiques (b) 121 (b) 145 + 24
Ingénierie medicale 14 167 13 189 + 22
Travail materiaux 12 235 9 256 + 21
Materiaux - metallurgie 9 208 8 229 + 21
Audiovisuel 5 150 4 166 + 16
Produits agricoles et alim. 3 88 4 104 + 16
Pharmacie - cosmétiques 17 145 22 160 + 15
Biotechnologies 10 143 13 158 + 15
Spatial - armement 1 55 1 64 + 9
Semiconducteurs 4 160 7 168 + 8
Techniques nucléaires 4 82 1 78 - 4
(a) Le nombre de firmes relevant d’un domaine technologique est susceptible de varier d’une période sur l’autre. Ces glissements sont dus au fait que le domaine technologique d’appartenance n’est pas immuable : il correspond au domaine technologique dans lequel une firme dépose le plus de brevets à une période donnée. Les glissements sont néanmoins limités à des domaines technologiquement connexes.
(b) Aucune firme ne relève du domaine technologique.
(c) Y compris les firmes relevant du domaine technologique considéré.
(d) C’est-à-dire : différence entre le nombre total de firmes actives dans le domaine technologique considéré en 1994-1996 et le nombre total de firmes actives dans ce domaine en 1988-1990.