La déclinaison des différents types de stratégies de localisation des activités d’innovation des FMN proposés dans la thèse, reposant sur la distinction entre une logique d’exploitation et une logique d’exploration, ne doit pas être appréciée de façon ‘rigide’. En effet, les firmes sont susceptibles de conduire différents types de stratégies, voire de suivre des stratégies ‘hybrides’, c'est-à-dire des stratégies empruntant à deux (ou plus) des quatre types que nous avons distingués. C’est ce que suggèrent Criscuolo et al. [2003] dans une contribution récente : ‘it is rare that firms undertake either HBA or HBE overseas in exclusion of the other’ (p. 7).
À cet égard, précisons que nous avons proposé une analyse des stratégies des FMN et non de leurs unités de recherche. Si l’on peut distinguer quatre types de stratégies de localisation des activités d’innovation, l’activité d’une unité de recherche, quant à elle, est susceptible de relever de différentes stratégies à la fois. En d’autres termes, une unité de recherche peut conduire différents types d’activités, notamment des activités d’adaptation, tout autant que de création technologique.
Le choix entre les différentes stratégies doit également être appréhendé dans un contexte dynamique. Ainsi, une unité de recherche de type HBE est susceptible, en fonction des impératifs de la firme, de se muer progressivement en une unité de type HBE, ou vice versa. En d’autres termes, le type de stratégie adopté par une firme est susceptible d’évoluer au cours du temps. C’est ce que suggère un certain nombre d’études empiriques. Parmi celles-ci, l’enquête ‑désormais ‘classique’‑ conduite par C. Ronstadt, sur la R&D menée à l’étranger par sept multinationales américaines, concluait que la grande majorité de ces investissements tendait à suivre une séquence évolutionniste : de faibles investissements, consentis initialement dans des unités de service technique destinées à faciliter le transfert de la technologie développée aux États-Unis, ont évolué vers des unités de R&D proprement dites qui se sont vues confier des tâches de développement technologique global, c'est-à-dire pour l’ensemble de la firme (Ronstadt [1978], p. 22).
Cependant, C. Ronstadt lui-même reconnaissait que ses résultats n’impliquaient pas que toutes les unités délocalisées suivent cette évolution, ni même que la séquence décrite soit linéaire et unidirectionnelle (ibid.). Des entretiens menés dans 34 firmes américaines et 16 firmes européennes en 1978, par Fisher & Behrman [1979], ont précisément révélé l’existence de différences substantielles dans la dynamique temporelle d’établissement d’unités de R&D à l’étranger par les firmes de l’échantillon : diverses configurations ont été observées, allant de l’évolution graduelle d’unités de prestation de services techniques à la réalisation d’activités productives, jusqu’à la localisation directe d’une unité de R&D délocalisée (p. 32). Plus récemment, W. Kuemmerle a abordé cette question dans une étude portant sur un échantillon de laboratoires de R&D appartenant à 32 FMN originaires de cinq pays différents et opérant dans les industries pharmaceutiques et électroniques. L’auteur n’a observé aucun changement majeur dans le type d’activité réalisé par les laboratoires, l’explication avancée étant l’existence de ‘coûts irrécouvrables’ liés à la mise en place d’un type particulier de R&D : ‘it seems that the intended orientation of a laboratory influences the choice of location and human and capital assets to a degree that is very costly to reverse’ (Kuemmerle [1999b], p. 185). Les coûts de reconversion d’un laboratoire d’une activité de type HBA à une activité de type HBE –ou l’inverse‑ sont tels que les firmes choisissent d’établir une autre unité, avec une orientation différente, dans la même région, plutôt que de modifier l’orientation d’une unité existante (ibid.).
L’hypothèse de l’évolution de la nature des activités entreprises par les unités de recherche délocalisées n’étant pas vérifiée en toutes circonstances, il nous semble que la typologie proposée est susceptible de constituer une grille de lecture utile pour apprécier les stratégies de localisation des activités d’innovation des FMN.