Ainsi que nous l’avons montré, la théorie des compétences insiste sur l’importance, pour toute firme, de développer une ‘organisation externe’ dans le but d’accéder à des compétences ‘externes’, en raison de l’incomplétude des compétences de la firme. Nous avons constaté que l’existence de telles stratégies d’exploration était largement validée par nos résultats statistiques.
Cependant, si nous avons surtout souligné les vertus de ces stratégies d’exploration sur le plan de l’apprentissage technologique, il convient de relever qu’elles sont susceptibles d’être associées à un risque organisationnel, celui d’une ‘fragmentation’ des compétences de la firme multinationale. En effet, les compétences de la firme constituent le résultat de processus d’apprentissage et sont donc construites sur l’expérience passée. Or, comme le suggère De Meyer [1993b] : ‘dispersing R&D makes it more difficult to preserve the integrity of the historic knowledge base of the firm’ (p. 110). Une dispersion géographique trop importante des activités d’innovation de la firme peut ainsi conduire à une érosion de la cohérence organisationnelle. Lorsque la stratégie de la firme est essentiellement axée sur l’accès à des compétences externes, le contrôle des compétences centrales (core competencies) n’est plus garanti. Le maintien d’un seuil critique de compétences internes est vital pour la firme ‑comme nous l’avons souligné dans le Chapitre 4 : l’entretien des compétences centrales ne peut relever d’un arbitrage entre ‘faire et ‘faire faire’ (Amin & Cohendet [1997], p. 12). Dans le cas où l’arbitrage se fait en faveur exclusive de l’accès à des compétences externes pour entretenir les compétences centrales, la firme se rapproche du cas des ‘sociétés fantômes’ (‘hollow corporations’), qui sont décrites de la sorte par Teece et al. [1994] : ‘a business entity that does not have any core technical competences and uses contractual mechanisms to link particular market requirements with productive capacities’ (p. 20). Les ‘sociétés fantômes’ sont ainsi des structures ayant principalement cherché à se ménager un accès à des compétences technologiques externes, au détriment du développement de compétences internes, notamment d’ordre organisationnel :
‘Unless capabilities develop to undergird these structures, and unless distinctive organizational routines emerge to ‘glue’ such organizations together, such organizations will not survive, except where the selection environment is weak. (Teece et al. [1994], p. 24)’Il pourrait ainsi être instructif de mener une analyse empirique au niveau des firmes afin d’apprécier l’importance relative des stratégies d’exploitation et des stratégies d’exploration, et leur influence sur la performance de la firme.