Introduction

1- Notre domaine d’étude : la communication télévisuelle

Spécifique, plurielle, incertaine, la communication télévisuelle constitue un phénomène socio-discursif dont la complexité résulte de la position d’interface qu’occupe la télévision, à l’intersection de différents champs (politique, économique, journalistique), différents espaces (la production et la réception, la sphère publique et la sphère privée), différents univers (l’univers technique, l’univers professionnel) 2 . Si ce média est apparu au début des années 30, la réflexion théorique sur la télévision en tant qu’objet social spécifique n’a pris forme qu’après la Seconde Guerre Mondiale.

A l’origine, la télévision est perçue comme un outil technique perfectionné s’inscrivant dans le prolongement des trois formes antérieures de télécommunication : le télégraphe, le téléphone et la radio. C’est sous l’angle de la télédiffusion dont elle capitalise et développe les possibilités que la télévision est tout d’abord appréhendée. Son émergence marque “une nouvelle étape de l’expérience moderniste de la “simultanéité” dans laquelle s’est engagée l’humanité à la fin du XIXème siècle,” constatent Guy Lochard et Jean-Claude Soulages 3 . De l’art du direct fondé sur une illusion de transparence à l’éblouissement du présent de l’événement produit par le flux de l’information en continu, la coprésence avec l’univers événementiel suggérée par la télévision n’en finit pas de fasciner et d’interroger.

Les premières recherches de l’après-guerre sur la télévision engagent Américains et Européens dans des directions différentes. Sous l’impulsion de Paul Lazarsfeld qui s’intéresse à l’influence de la radio sur les comportements électoraux et plus généralement à la façon dont les individus réagissent à leur environnement social 4 , la question des effets des programmes télévisés mobilisent les chercheurs outre-Atlantique. En Europe, c’est la dimension langagière de la communication télévisuelle, ses capacités expressives, qui retiennent prioritairement l’attention de précurseurs comme Jean Thévenot 5 , auteur en 1946 du premier essai français paru sur la télévision. Le langage télévisuel est d’abord envisagé en référence au théâtre 6 , à la radio et au cinéma 7 dont il s’inspire. De fortes distinctions ne sont pas perçues d’emblée dans les modes et formes d’expression des différents dispositifs, tout au plus “quelques glissements” 8 .

Notes
2.

Peter Dahlgren définit la télévision comme un prisme (“prismatic television”) dans son livre Television and the Public Sphere, Citizenship, Democracy and the Media, Sage, Londres, 1995. Toute la difficulté de notre travail consiste à saisir simultanément ses différentes facettes : outil technique, produit industriel, objet culturel, discours, communauté professionnelle, acteur social.

3.

Guy Lochard, Jean-Claude Soulages, La communication télévisuelle, Armand Colin, Paris, 1998, p.11.

4.

Paul F. Lazarsfeld, Bernard Berelson, Hazel Gaudet, The People’s Choice : How the Voter makes up his Mind in a Presidential Campaign, Columbia University Press, New York, 1944. Dans cet ouvrage, Paul Lazarsfeld et son équipe évaluent l’impact de la campagne électorale radiodiffusée sur l’évolution des opinions des électeurs lors des élections présidentielles américaines de 1940. Auparavant, ce chercheur autrichien avait réalisé une enquête sur les chômeurs de Marienthal (1932) pour tenter de comprendre leurs réactions face à la crise économique.

5.

Jean Thévenot, L’âge de la télévision et l’avenir de la radio, Les Editions Ouvrières, Paris, 1946.

6.

André Vigneau, “ La télévision et les différents spectacles, du “ grand spectacle ” à la confidence ”, Cahiers d’études de radiotélévision n°2, Presses Universitaires de France, Paris, 1954.

7.

Georges Freedland, “ Télécinéma. Essais sur la syntaxe de la télévision”, Revue du cinéma, n°19-20, 1949.

8.

Guy Lochard, Jean-Claude Soulages, op.cit., p.18.