1-b Les limites de la “télévisualité”

Autour de la notion de “télévisualité” mise en avant par Guy Lochard et Jean-Claude Soulages 16 pour penser de façon plus fine la spécificité de la télévision, trois points de vue se constituent : le premier, illustré par des travaux aussi diversifiés que ceux de Marshall Mac Luhan 17 , Régis Debray 18 , Philippe Marion 19 ou Dominique Avron 20 , se réfère aux paramètres et propriétés techniques de la télévision. Le second point de vue prend appui sur les modalités de la diffusion télévisée, et en particulier sur le direct, pour mettre à jour un nouveau type d’écriture. C’est l’approche d’Umberto Eco 21 et celle de Luis Alvarez-Garcia 22 . Le troisième point de vue se fonde sur les qualités expressives de la télévision appréhendées à partir de critères esthétiques. C’est l’option retenue par Herbert Zettl 23 et Pierre Sorlin 24 . Ou à partir de critères langagiers. C’est la démarche de Jules Gritti 25 et de Christian Metz 26 .

La perspective va s’élargir au-delà des problématiques socio-techniques, langagières et esthétiques, grâce aux regards croisés d’autres disciplines sur la télévision : les historiens l’abordent ainsi comme une source documentaire ; les sociologues comme un révélateur des logiques et des identités sociales ; les économistes comme un secteur d’activité de plus en plus attractif pour les investissements. Il devient dès lors moins évident de circonscrire l’objet télévision à l’univers technique ou d’envisager le discours télévisuel indépendamment des locuteurs qui l’énoncent et des destinataires auquel il s’adresse. De se comporter, somme toute, comme s’il était possible d’isoler et d’examiner l’un et l’autre “en tête à tête”, pour reprendre une expression de Jean-Pierre Esquenazi 27 , en faisant abstraction des contraintes des situations où s’inscrivent ces actes de communication.

Le “poids des contextes” tend à s’imposer, à partir des années 80, comme une donnée incontournable pour l’ensemble des sciences du signe et marque, selon Guy Lochard et Jean-Claude Soulages, “une rupture décisive” de la réflexion sur la communication télévisuelle : “Elle renonce à toute tentative d’analyse strictement interne des messages télévisuels et aborde de plus en plus ceux-ci en les replaçant dans leurs contextes de manifestation. Plus encore que le discours cinématographique, le discours télévisuel se révèle en effet tributaire d’une série de paramètres externes qui ont trait aux conditions socio-économiques et socio-institutionnelles de son élaboration et aux conditions socioculturelles et psychosociologiques de sa réception.” 28

Notes
16.

Guy Lochard, Jean-Claude Soulages, op.cit., p.25.

17.

Marshall Mac Luhan, Pour comprendre les médias, Seuil, Paris, 1968.

18.

Régis Debray, Cours de médiologie générale, Gallimard, Paris, 1991.

19.

Philippe Marion, “ Narratologie médiatique et médiagénie des récits ”, Recherches en communication, n°7, Université Catholique de Louvain, Louvain, 1997.

20.

Dominique Avron, Le scintillant, essai sur le phénomène télévisuel, Presses Universitaires de Strasbourg, Strasbourg, 1994.

21.

Umberto Eco, “ Le hasard et l’intrigue, l’expression télévisuelle et l’esthétique ”, in L’œuvre ouverte, Seuil, Paris, 1962.

22.

Luis Alvarez-Garcia, Poétique du discours télévisuel, Ciaco éditeur, Louvain, 1986.

23.

Herbert Zettl, “ Television aesthesics ” in Understanding television, essays on Television as a Social and Cultural Force, Praeger, New-York, 1981, cité par Guy Lochard et Jean-Claude Soulages, op.cit., p.36.

24.

Pierre Sorlin, Esthétiques de l’audiovisuel, Nathan, Paris, 1992.

25.

Jules Gritti, “ La Télévision en regard du cinéma : vrai ou faux problème ? ”, Communications, n°7, Seuil, Paris, 1967.

26.

Christian Metz, Langage et cinéma, Larousse, Paris, 1970.

27.

Jean-Pierre Esquenazi, L’écriture de l’actualité, Pour une sociologie du discours médiatique, Presses Universitaires de Grenoble, Grenoble, 2002, p.10.

28.

Guy Lochard, Jean-Claude Soulages, op.cit., p.44.