1-h “ Etres empiriques ” et “ êtres de langage ”

Insistant sur “la souplesse du jeu de négociation du sens entre émetteur et récepteur”, Guy Lochard et Jean-Claude Soulages reprennent à leur compte la distinction opérée par Patrick Charaudeau entre espace externe et espace interne du langage 63 et suggèrent l’idée d’un “dédoublement” des deux instances impliquées dans l’acte de communication télévisuelle. Celui-ci mettrait aux prises des “êtres empiriques” et des “êtres de langage” positionnés tant du côté de la production que du côté de la réception.

Aux premiers correspondraient les instances de production, notamment journalistiques, et le téléspectateur “réel” appréhendé en fonction des perspectives d’analyse, soit comme un être individuel, soit comme un être collectif. Les seconds engloberaient, sur le versant de la production, “les différentes instances énonciatives (informatives, explicatives, narrativo-fictionnelles...) que mettent en scène les instances de production et qu’ils inscrivent à des fins stratégiques dans leurs réalisations discursives en adéquation avec les projets de communication mis en place” ; et sur le versant de la réception, “ces images idéales de destinataires que se construisent également les instances de production en fonction des hypothèses qu’ils formulent sur l’identité et les attentes de leur public.” 64

Cette théorie du sujet “dédoublé”, à l’origine des phénomènes d’asymétrie, s’accompagne donc d’une théorie de l’intentionnalité. Dans le contrat de communication télévisuelle proposé par les deux auteurs, les “êtres empiriques” sont “les sièges de différentes intentionnalités communicatives”, points de départ de ce que Patrick Charaudeau appelle des “projets de parole”. L’intérêt de ce débat est de faire ressortir “la part de risque et d’incertitude quant à l’issue des projets de création de sens et d’affects” que comporte la communication télévisuelle. Sans toutefois dispenser celle-ci de se conformer à des règles communes à toutes les formes de communication humaine, observent Guy Lochard et Jean-Claude Soulages : “Elle implique en effet le développement entre les instances en présence d’un jeu d’attentes croisées et de représentations réciproques qui tend à se structurer autour de grands buts communicatifs, progressivement institutionnalisés. Et elle réclame par là même un nécessaire assentiment du destinataire concernant les finalités des actes communicatifs qui lui sont proposés. Ne serait-ce que pour les refuser.” 65

Notes
63.

Patrick Charaudeau envisage les énoncés télévisuels comme des lieux où s’articulent en permanence un “cadre situationnel” qui délimite un “espace de contraintes” et un “cadre discursif” qui définit un “espace de stratégies”. La différence entre les deux espaces ne recouvre pas le clivage entre composantes extra-textuelles et composantes textuelles, mais plutôt une opposition entre l’expression de déterminations et le déploiement d’initiatives : autrement dit, une marge de liberté qui correspond à la part d’incertitude que revêt tout acte de communication. Patrick Charaudeau, “Une analyse sémiolinguistique du Discours”, Langages n°117, mars 1995.

64.

Guy Lochard et Jean-Claude Soulages, op.cit. p.85.

65.

Guy Lochard et Jean-Claude Soulages, op.cit. p.86.