1-i Le flux et le monde réel

Cette part de risque et d’incertitude inhérente à toute forme de communication resurgit dans l’analyse de la logique de flux à l’œuvre dans la production de l’information en continu. Soumis aux contraintes des contextes institutionnels et des dispositifs énonciatifs, les programmes télévisuels portent de surcroît la marque de leur environnement “ textuel ” : le “ co-texte ”. L’expression désigne en sciences du langage à la fois les unités proprement linguistiques qui entourent l’énoncé analysé (co-texte verbal) et les unités d’une autre nature (kinésiques, posturaux, mimo-gestuels) dont la manifestation est simultanée à l’énoncé verbal. Catherine Kerbrat-Orecchioni 66 applique cette notion au discours télévisuel en distinguant un “ co-texte programmatique ” constitué sur un plan linéaire par les autres composants de la programmation et par leurs éléments de liaison, et un “ co-texte non programmatique ” formé sur un plan synoptique de différents signifiants sonores et visuels, comme le logos et les éléments d’habillage de la chaîne. Si la prégnance des co-textes apparaît indiscutable – dans le cas de l’information en continu, on verra au fil de cette étude que le flux influence fortement l’écriture de l’actualité et les comportements journalistiques – la prudence nous semble devoir s’imposer lorsqu’il s’agit de juger des effets du flux sur la réception 67 .

Andrea Semprini voit ainsi dans le flux, né de la concurrence entre les chaînes lancées à la conquête de nouveaux espaces-temps, “ plus qu’une simple modalité de programmation (…) une forme médiatique complexe et sui generis ” 68 . L’auteur croit discerner “ dans ce tumulte textuel (…) une sorte de pression interne, engendrée par le médium lui-même et par ses propriétés intrinsèques, comme si les grilles traditionnelles, structurées sur la base de logiques culturelles et temporelles déterminées et rigides, réussissaient de plus en plus mal à contenir le flux impétueux des signaux anarchisants et destructurés (temporellement, conceptuellement et idéologiquement) qui se pressent pour se déverser avec la force d’une cascade dans le canal télévisuel, emportant tout autre forme de canalisation sur leur passage ” 69 . Andrea Semprini, pour qui “ un format de flux “ impose ” des contenus de flux (…) un média de flux engendre un monde de flux ”, reconnaît toutefois que “ le monde réel apparaît bien plus conflictuel et discontinu que l’idéologie de la mondialisation ne le laisse croire ” 70 .

Se situant au cœur de notre problématique, la réflexion amorcée par cet auteur sur le formatage du discours télévisuel traversé par une logique de flux, nous conduit à préciser ici ce que nous entendons par information, ainsi que la manière dont nous envisageons sa fabrication. Et par là même, nos hypothèses et notre approche méthodologique.

Notes
66.

Catherine Kerbrat-Orecchioni, Les interactions verbales, t.1, Armand Colin, Paris, 1990, p.108.

67.

Nous partageons sur ce point l’avis de Jean-Pierre Esquenazi, définissant la discursivité télévisuelle comme un “ lieu de pouvoir ”, mais pour qui le pouvoir d’une institution télévisuelle présuppose une “ normalisation des messages qui vise essentiellement à régler le devenir spectatoriel (et non à normaliser les individus) ” (Jean-Pierre Esquenazi, Le pouvoir d’un média, TF1 et son discours, L’Harmattan, Paris, 1996, p.28).

68.

Andrea Semprini, L’information en continu, France Info et CNN, INA-Nathan, Paris, 1997, p.10.

69.

Andrea Semprini, op.cit. p.22.

70.

Andrea Semprini, op.cit. pp.8 et 180.