2-a Informer : une activité codifiée et cadrée

L’acte d’informer répond simultanément à plusieurs exigences. Informer, c’est tout d’abord proposer une vision du monde qui contribue à rendre celui-ci intelligible. L’information nous permet ainsi de nous forger une opinion. Mais pour que cette représentation du monde soit crédible 75 , elle doit s’appuyer sur des valeurs et des croyances qui s’imposent comme des vérités ou des normes pour les individus et groupes sociaux auxquels ils appartiennent. L’information est donc le produit d’une activité codifiée et cadrée. Codifiée, car l’activité de communication est régie par des règles et l’information est inséparable du dispositif énonciatif dans lequel elle s’inscrit 76 . Cadrée, parce que nous percevons le monde à partir de catégories de sens qui reposent sur des catégories de formes socialement validées.

Nous disposons, pour cela, de “ cadres ” qui nous permettent de classer nos expériences, des les interpréter et de les organiser. Erving Goffman, à l’origine de cette théorie, se place dans une perspective “ situationnelle ” qu’il explicite ainsi : “ Ma perspective est situationnelle, ce qui signifie que je m’intéresse à ce dont un individu est conscient à un moment donné, que ce moment mobilise souvent d’autres individus et qu’il ne se limite pas nécessairement à l’arène co-pilotée de la rencontre de face-à-face. Je fais l’hypothèse qu’en s’intéressant à une situation ordinaire on se pose la question : “  Que se passe-t-il ? ” Que la question soit formulée explicitement dans les moments de doute et de confusion ou implicitement lorsque les circonstances ne menacent pas nos certitudes, elle est posée et ne trouve de réponse que dans la manière dont nous faisons ce que nous avons à faire ” 77 .

Nous envisagerons, dès lors, le cadre (frame) sous trois angles.

  • En premier lieu comme une notion évolutive qui rend compte d’une organisation de l’expérience et renvoie à une pratique sociale. A la fois mobile et vulnérable, un cadre peut se déplacer et se rompre.
  • En second lieu comme un guide pour l’action. Le cadre structure une séquence (strip) qui désigne, pour Erving Goffman, “ une activité en cours, incluant ici des actions réelles ou fictives, envisagées du point de vue de ceux qui y sont subjectivement engagés ” 78 .
  • En troisième lieu, comme un outil d’analyse des attitudes et comportements que l’auteur lui-même ne borne pas à la communication intersubjective et à la conversation.

Ses multiples références à la presse en attestent. La façon dont il justifie ce type d’emprunts fonde notre propre démarche : nos hypothèses de travail vont, pour une part, se greffer sur les postulats méthodologiques d’Erving Goffman qui perçoit l’activité journalistique comme une activité ordinaire à laquelle l’analyse des cadres peut s’appliquer.

Notes
75.

Présenter l’actualité comme un inventaire plausible de l’état du monde est l’un des objectifs prioritaires des médias, affirment Peter Berger et Thomas Luckman. Pour y parvenir, les médias ont recours aux “ institutions ” dont chacune constitue la somme de ce que tout le monde sait ou est censé savoir sur un domaine donné (Peter Berger et Thomas Luckman, La construction sociale de la réalité, Klincksieck, Paris, 1996, pp. 77-78-93).

76.

Eliseo Veron appréhende l’information présentée dans le cadre d’un journal télévisé à partir du dispositif d’énonciation propre au “ Jt ” . Il explicite ainsi son approche “ sociosémiotique ” : “ La description d’un ensemble de propriétés discursives n’est pertinente que si elle est faite à la lumière d’hypothèses (explicites ou implicites) sur les conditions de production et de consommation des discours (autrement, nous ne saurions même pas quoi décrire). L’analyse des discours ne peut en aucune façon être “ immanente ” : elle n’est pas non plus, par conséquent, un simple transfert de concepts (ou de modèles) linguistiques. ” (Eliseo Veron, “ Il est là, je le vois, il me parle ”, Communications n°38, Seuil, Paris, 1983, p.98-120).

77.

Erving Goffman, Les cadres de l’expérience, Minuit, Paris, 1991, p.16.

78.

Erving Goffman, op.cit., p.19. Louis Quéré précise à ce sujet que l’organisation de l’expérience dont le cadre rend compte, “ présente une face cognitive – comprendre ce qui se passe dans une situation, identifier ce qui s’y produit, la définir – et une face pratique – définir l’engagement qui convient ” (Louis Quéré, “ L’événement ”, Réseaux Reader, CNET, 1977, repris dans Sociologie de la Communication, CENT, 1997, p.426).