2-d La “ face discursive ” des cadres

Jean-Pierre Esquenazi établit ainsi une distinction entre les langues aux règles solidement assises et les “ jeux de langage ” qui désignent “ les parlers adaptés aux différents cadres auxquels nous participons ”. Appréhendée à travers les multiples usages auxquels elle se prête, la langue apparaît comme une “ réserve ” où les divers types de langage prélèvent à leur guise les éléments leur permettant de se démarquer les uns des autres. L’accent, le vocabulaire, les tournures particulières sont autant d’éléments de différenciation des usages de la langue et de “ marqueurs ” d’une volonté d’ancrage géographique, d’appartenance à un milieu social spécifique – ou à l’inverse d’un rejet – qui confèrent aux manières de parler 94   une identité discursive. Tout jeu de langage se présente comme la “ face discursive ” 95 d’un cadre. Il peut être défini non seulement par le cadre qui lui est associé mais également “ par l’ensemble des actes discursifs qu’il rend possible et par la solidarité des valeurs et jugements qu’il induit ”. Un jeu de langage ne saurait cependant être assimilé à une norme obligatoire. “ Il s’agit beaucoup plus d’un ensemble de règles souples avec lesquelles, selon les situations, des arrangements sont possibles. ” 96

Si l’analyse de discours constitue l’axe principal de notre approche méthodologique, nous souscrivons pleinement à la remarque de Patrick Charaudeau 97 pour qui le discours analysé est toujours “ tourné vers autre chose que les seules règles de la langue ”. Ce discours s’inscrit dans un dispositif décrit par Claude Jamet et Anne-Marie Jannet 98 comme “ l’articulation entre des mises en scène, des positions interlocutives et les conditions extralinguistiques du discours grâce à laquelle les co-énonciateurs construisent un monde commun d’appréhension de leur représentation du monde (…) Le dispositif apparaît comme un espace de contraintes des processus d’élaboration du sens ”. Toute la difficulté réside, précisément, dans l’articulation correcte de ces trois points de vue.

Pour Jean-Pierre Esquenazi, “ l’étude du champ de production doit rendre compréhensible la fabrication du discours ; l’analyse de celui-ci doit révéler d’abord la façon dont il exprime le champ et ensuite dont il rend possibles les diverses interprétations ; enfin, les logiques des différentes lectures doivent témoigner des modes concurrents de structuration du discours ”. Si l’on admet que “ le discours médiatique constitue le maillon indispensable entre le milieu producteur et les publics ”, il convient de repérer en priorité dans le discours “ les traces du travail de production accompli par les acteurs du champ médiatique et les principes à partir desquels il est interprété par les publics ” 99 . En d’autres termes, “ nous devons être capables d’articuler l’étude du champ, l’examen du discours et la compréhension de la réception dans une somme cohérente et efficace ” 100 .

Notes
94.

William Labov est l’un des principaux représentants de la sociolinguistique. Ses travaux de référence ont porté sur le parler des jeunes de l’île de Martha’s Vineyard et des ghettos noirs des Etats-Unis. Dans le premier cas étudié, William Labov montre qu’il existe un rapport entre le parler des jeunes de l’île du Massachusetts et leur projet de s’installer sur le continent ou de demeurer dans l’île. Dans le second cas étudié, l’auteur s’intéresse aux jeux de langage que constituent les « vannes » des adolescents et qui font ressortir une volonté d’appartenance à une bande. William Labov, Sociolinguistique, Minuit, Paris, 1976 ; Le parler ordinaire. La langue des ghettos noirs des Etats-Unis, 2 vol., Minuit, Paris , 1978.

95.

Jean-Pierre Esquenazi, op.cit., p.37.

96.

Jean-Pierre Esquenazi, op.cit., p.39.

97.

Patrick Charaudeau, Le discours d’information médiatique, INA-Nathan, Paris, 1997.

98.

Claude Jamet et Anne-Marie Jannet, La mise en scène de l’information, L’Harmattan, Paris, 1999, p.16.

99.

Jean-Pierre Esquenazi, op.cit., p.11

100.

Jean-Pierre Esquenazi, op.cit., p.12.