I-1-c Le poids de l’Espagne

Au sein de l’Union européenne, l’Espagne se situe en première ligne des partisans d’un “ engagement constructif ” à l’égard de Cuba. Pour des raisons historiques, tout d’abord. Depuis le 28 octobre 1492, jour où Christophe Colomb aborda pour la première fois dans l’île 129 pour le compte de la reine Isabelle de Castille, jusqu’au Traité de Paris du 10 décembre 1898 reconnaissant l’indépendance de Cuba, quatre siècles de colonisation espagnole ont créé des liens dont la langue, la culture, et les origines d’une partie importante de la population cubaine portent témoignage 130 . Ensuite, pour des raisons économiques et politiques. L’Espagne est aujourd’hui le premier investisseur à Cuba avec 25 % du stock d’investissement 131 devant le Canada (20%), l’Italie (19%), la France (5%) et le Royaume-Uni (3%). L’Espagne est également le premier fournisseur de l’île avec 22% de parts de marché devant la France (11%), le Canada (10%), l’Italie (8%), la Chine (6%) et la Russie (5%) ; et son quatrième client (7%) derrière la Russie (26%), les Pays-Bas (12%) et le Canada (11%).

Mais l’impulsion décisive donnée au projet de coopération télévisuelle entre Cuba et l’Union européenne par le vice-président de la Commission, Manuel Marin, coïncide avec l’accession de l’Espagne à la présidence de l’Union au cours du second semestre de l’année 1995 132 . L’Espagne s’efforçant parallèlement de jouer un rôle fédérateur à l’échelle de l’Amérique latine. “ Le sommet de Guadalajara des 18 et 19 juillet 1991, réunissant tous les chefs d’Etats d’Amérique latine et ceux d’Espagne et du Portugal, fut une tentative de positionnement dans le nouvel ordre mondial en gestation de pays marginalisés ”, observe Olivier Dabène 133 . “ La conférence ibéro-américaine qui en émana, représentant 470 millions de personnes, se voulait l’équivalent de la francophonie ou du Commonwealth. L’Espagne, un an avant la célébration du cinquième centenaire de la “ rencontre des deux mondes ”, s’érigeait en ambassadrice de l’Amérique latine. ” Ce “ double jeu ” des Espagnols 134 ne pouvait que servir les autorités cubaines, confrontées à d’énormes difficultés au cours de la décennie quatre-vingt dix.

Notes
129.

Les caravelles de Christophe Colomb, parties le 3 août d’Espagne, ont mouillé au large de Port Bariay au nord d’Holguin, au terme de leur première traversée de l’Atlantique.

130.

La famille de Fidel Castro est originaire de Galice qui fut, avec l’Extrémadure et les Asturies, l’une des trois régions d’où partirent la majorité des colons qui se sont installés à Cuba.

131.

Rapport du Sénat français relatif au projet de loi sur l’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et Cuba, février 2001.

132.

C’est le 21 juillet 1995 que l’avocat bruxellois mandaté par la Commission adresse son courrier à Euronews pour lancer le projet “ Espacio Europa ”. Depuis le 1er juillet, l’Espagne a succédé à la France à la présidence de l’Union européenne.

133.

Olivier Dabène, op.cit., p.185.

134.

Véronique Solange Okomé-Béka confirme l’ambivalence de l’attitude espagnole, partagée entre une volonté de tourner définitivement la page du franquisme en prenant place parmi les démocraties occidentales et un attachement empreint de nostalgie à l’égard des pays latinoaméricains issus de son ex-empire : “ S’il ne fait pas de doute que Madrid a choisi de s’ancrer prioritairement dans l’Europe, il est en même temps évident qu’elle souhaite être un lien entre les deux parties du monde et multiplie en conséquence les occasions de rapprochement avec son ancien empire. L’idée est même caressée par certains de la création d’une “ Communauté des nations hispaniques ” sur le modèle du Commonwealth britannique. ” Véronique Solange Okomé-Béka, op.cit., p.24.