I-2-b Un pari sur l’avenir télévisuel cubain

Au-delà de l’anecdote, l’insertion régulière dans la grille de la télévision nationale d’un programme conçu et réalisé à l’étranger constitue un fait sans précédent à Cuba depuis l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro en 1959. Un contrôle politique s’exerce, en effet, sur tous les médias 146 diffusant dans l’île : ainsi, l’Institut Cubain de la Radio et de la Télévision est-il directement “ annexé au ministère des communications, lequel relève de la direction politique du pays ” 147 .

Pour quelles raisons le résumé d’information contenu dans le programme “ Espacio Europa ”, que les Cubains s’engagent “ à projeter sans modification ” 148 , fait- il exception ? Comment pareille entorse à la règle  peut-elle se justifier ? On peut avancer deux explications, l’une économique, l’autre politique :

Notes
146.

La position monopolistique de la télévision d’Etat fait l’objet d’une analyse détaillée dans le chapitre suivant consacré à la présentation de la télévision cubaine.

147.

“ La atencion estatal se asigna a una Oficina de Radiodiffusion, anexa al Ministerio de Comunicaciones y que es atendida por la Direccion Politica del pais (...) En 1975, el nombre sufre un cambio y pasa a denominarse Instituto Cubano de Radio y Television , con las mismas atribuciones. ” (ICRT, Caracterizacion del Instituto Cubano de Radio y Television, Datos compilados por el Centro de Estudios y Documentacion, La Havane, 1999, p.2).

148.

Courrier de Jean-Louis Dupont du 21 juillet 1995. Voir annexes.

149.

Entretien avec Vicente Gonzalez Castro, producteur de la télévision cubaine. Voir annexes.

150.

“ Mision del ICRT : satisfacer las necesidades informativas, educativas, culturales y de entretenimiento de la poblacion, con una programacion diaria de radio y television portadora de los valores politicos, ideologicos, sociales, eticos y esteticos, de nuestra sociedad socialista. ” ICRT, op.cit., p.3.

151.

Cet argument a été repris en avril 2003 par les autorités cubaines pour justifier la condamnation de 75 opposants politiques, parmi lesquels Paul Rivero, directeur de l’agence Cuba Press, à des peines d’emprisonnement allant de 14 à 27 ans. Le ministre des Affaires Etrangères Felipe Perez Roque a ainsi expliqué qu’il n’y avait pas d’autre alternative que la répression « pour défendre la souveraineté, l’autodétermination et l’indépendance de l’île face à la politique de confrontation et de provocations des Etats-Unis ». Selon Jean-Michel Caroit, le correspondant du journal Le Monde à La Havane, « Fidel Castro n’a pu amoindrir l’hostilité du président George W. Bush, péniblement élu en 2000 grâce au coup de pouce décisif des exilés cubains de Floride. L’invasion de l’Irak a renforcé le syndrome de la forteresse assiégée dans l’île qui figure toujours sur la liste noire des Etats-Unis et que les faucons de Washington accusent de développer un programme d’armes biologiques. Fidel Castro qui a survécu à dix présidents américains, sait que les chances de réélection de George W. Bush seraient menacées si l’économie américaine ne redémarre pas dans les prochains mois. A moins, craint Castro, que pour faire remonter les sondages, il ne lance, peu avant l’élection présidentielle, une intervention de « changement de régime » du type de celle qui avait renversé le général panaméen Noriega. La menace a été brandie de manière à peine voilée par l’ambassadeur des Etats-Unis à Saint-Domingue, Hans Hertell, un proche de George W. Bush et un ami personnel de James Cason, le représentant des Etats-Unis à La Havane, dont la tâche consiste selon les autorités castristes à unifier et à renforcer la dissidence pour la transformer en « cinquième colonne » (…) La situation est d’autant plus périlleuse pour le régime que la dissidence a notablement élargi son audience depuis deux ans. » (Jean-Michel Caroit, « Fidel Castro réprime par crainte d’un sort irakien », Le Monde, 18 avril 2003).

152.

“ Il y a bien ceux qui ont déshonoré ce noble titre de journaliste en agissant en serviteurs de cet empire superpuissant, en mercenaires, en traîtres à leur petite patrie qui leur a assuré, grâce à la Révolution, de pouvoir faire n’importe quelles études universitaires, journalisme y compris. Et quelles qu’aient été nos erreurs, personne n’a le droit de trahir sa patrie, personne n’a le droit de se vendre et de travailler comme un mercenaire de celui qui est l’ennemi, non seulement de son peuple, mais encore de l’humanité. Ce sont des traîtres à la patrie et à l’humanité ! ” (Fidel Castro, Discours prononcé le 12 novembre 1999 devant le 8ème Congrès de la Fédération latinoaméricaine des journalistes dans le Grand Amphithéâtre de l’Université de La Havane).

153.

Ignacio Ramonet, “ Anticastrisme primaire ”, Le Monde diplomatique, avril 2002, p.32.

154.

Radio Marti et TV Marti font l’objet d’un brouillage systématique que les autorités cubaines revendiquent comme un acte de légitime défense contre les “ mensonges et calomnies de l’empire ”. (Fidel Castro, op.cit.).

155.

Créée en 1985 par Robert Ménard, l’association Reporters sans Frontières (RSF) publie chaque année un rapport recensant les atteintes à la liberté de la presse commises dans le monde et le nombre de journalistes tués au cours des douze mois précédents dans l’exercice de leur métier. RSF vit aujourd’hui principalement de la vente des albums photos qu’elle édite et diffuse avec le concours de la FNAC et des NMPP. Selon le journaliste belge Michel Collon, jusqu’au milieu des années quatre-vingt dix, 70% du budget de RSF reposait sur des subventions versées par la Commission européenne. (Michel Collon, “ A propos de Reporters sans Frontières ”, courrier adressé au SNJ-CGT, août 2002).

156.

“ Les rangs des journalistes indépendants continuent de grossir : ils sont actuellement plus d’une centaine alors qu’ils n’étaient qu’une poignée au début des années 1990 (…) La plupart d’entre eux travaillent au sein d’agences (…) Elles sont aujourd’hui 18, dont quatre basées en province, sans tenir compte des agences diffusant des informations pour le compte d’acteurs sociaux comme les agriculteurs, les pédagogues ou les syndicats indépendants (…) Une dizaine de journalistes travaillent en-dehors de ces agences, principalement dans la capitale. ” (Reporters sans Frontières, “ Une centaine de journalistes indépendants face à l’Etat cubain ”, site internet RSF, septembre 2000).

157.

En usant des guillemets, nous entendons souligner le caractère relatif de l’adjectif indépendant : la prise d’indépendance à l’égard du gouvernement cubain a pour contrepartie l’acceptation d’une dépendance vis-à-vis de la communauté cubaine exilée aux Etats-Unis. C’est elle qui prend en charge la diffusion sur internet et dans les médias américains, notamment ceux qui émettent en direction de Cuba, des articles faxés ou téléphonés depuis l’île par les journalistes “ indépendants ”. Selon RSF, “ ils communiquent leurs articles par fax ou par téléphone à des membres de la communauté cubaine en exil qui les rediffusent ensuite sur des sites internets. Un système toléré par le gouvernement car il ne met pas en péril son monopole sur l’information diffusée aux Cubains, véritable sanctuaire. ” (Reporters sans Frontières, Cuba : rapport annuel 2002, site internet RSF).

158.

Jean-François Soulet, op.cit., p.235.