I-3-a Information et citoyenneté européenne

Parce qu’elle considère l’information comme “ un facteur décisif, peut-être le plus décisif, de l’unification européenne ”, la Commission européenne 183 engage dès le début des années 1980 une réflexion sur les moyens de se doter d’un outil de communication permettant non seulement de promouvoir la construction politique d’une Europe unifiée, mais aussi de favoriser l’émergence d’une “ conscience européenne ” 184 . La notion d’identité est utilisée pour légitimer l’unification politique et renvoie, de fait, à la représentation médiatisée d’une opinion publique majoritairement acquise à ce rapprochement. Pour la Commission, “ l’unification européenne s’achèvera seulement si les Européens le veulent. Les Européens ne le voudront que s’il y a quelque chose comme une identité européenne. Une identité européenne ne se développera que si les Européens sont informés de manière adéquate. Jusqu’à présent, l’information passant par les médias de masse est contrôlée au niveau national. ”

La référence à une culture commune est également mise en avant. Selon la Commission, “ une communauté de culture en Europe est déjà un fait indéniable. Au-delà de la diversité de surface des langues, goûts et styles artistiques, il y a une ressemblance, une similarité, une dimension ou une identité européenne basées sur un héritage culturel commun. Les contributions des différents individus, idées, styles et valeurs ont, à travers les siècles, créé une civilisation commune ” 185 .

L’information agit dès lors, dans l’esprit des dirigeants européens, “ comme un homogénéisateur ou un articulateur de la volonté (politique) ” dénotant, pour Philip Schlesinger 186 , “ une perception extrêmement idéaliste et volontariste de la construction d’un ordre social désiré, et une explication pour le moins improbable ”. A travers le discours de la Commission sur les questions d’identité et de culture, Olivier Baisnée et Dominique Marchetti 187 discernent également “ le volontarisme politique et la logique qui conduira à soutenir la création d’une chaîne comme Euronews ”.

La faible participation aux élections européennes accélère le processus : dès 1985, le rapport Adonnino 188 préconise la création d’une “ aire audiovisuelle ” et le lancement d’une chaîne télévisée multilingue “ véritablement européenne ” afin de “ renforcer et promouvoir l’identité de la Communauté et son image à la fois pour ses citoyens et pour le reste du monde ”. Euronews naît ainsi en 1992 “ dans la foulée de la ratification d’un Traité de Maastricht mettant l’accent sur les questions de citoyenneté européenne ”, observent Olivier Baisnée et Dominique Marchetti 189 .

Ces deux auteurs montrent aussi la façon dont les transformations des espaces médiatiques nationaux ont influencé les dirigeants européens. L’affirmation du caractère “ public ” du projet Euronews intervient en réaction à un double phénomène : en premier lieu, le développement de l’offre télévisuelle qui s’accompagne d’une segmentation des publics et des marchés publicitaires ; en second lieu, l’intensification de la concurrence qui favorise la concentration, avec la création de grands groupes de communication ou l’arrivée de gros industriels dans le secteur des médias, et l’internationalisation des sociétés dont les marchés débordent désormais les cadres géographiques nationaux. Euronews va, pour sa part, bénéficier de l’expérience accumulée par les professionnels européens de la radio et de la télévision de service public rassemblés au sein de l’Union européenne de radiodiffusion (UER) et du débat suscité par la diffusion quasi-exclusive sur les écrans européens des images de la télévision américaine au moment de la Guerre du Golfe. Car l’accès aux images n’est pas seulement une contrainte qui, nous le verrons, pèse fortement sur l’activité des journalistes de télévision. La dépendance à l’égard des sources d’images recouvre aussi un enjeu politique essentiel dès lors que l’on entend manifester son indépendance et son unité sur la scène internationale, comme les Européens en forment le dessein.

Notes
183.

Commission of the European Communities, Television without Frontiers : Green Paper on the Establishment of the Common Market for Broadcasting, Especially by satellite and Cable, Brussels, 1984, cité par Philip Schlesinger, Media, state and Nation, Sage, Londres, 1991, p.139.

184.

Cette approche est vivement critiquée par Dominique Wolton qui fustige “ l’idéologie techniciste ” fondée sur la confusion entre l’augmentation des capacités de diffusion des nouvelles techniques de communication et la nature de la demande sociale. Cet auteur dénonce également l’illusion selon laquelle il suffirait d’offrir des programmes européens pour faire naître une conscience européenne : “ Il ne faut pas confondre l’accroissement du volume de l’information, voire des programmes européens offerts par la télévision, avec la conscience européenne des publics. Celle-ci bougera à un autre rythme, par une sorte de capillarité dont la télévision n’est qu’un des éléments ”. (Dominique Wolton, Eloge du grand public, Une théorie critique de la télévision, Flammarion, Paris, 1997, pp.238-247).

185.

Commission of the European Communities, The European Community and Culture, Brussels, 1985, cité par Philip Schlesinger, op.cit., p.139.

186.

Philip Schlesinger, op.cit.

187.

Olivier Baisnée et Dominique Marchetti, “ Euronews, un laboratoire de la production de l’information “ européenne ” ”, Cultures § Conflits, 38-39,op.cit., p.126.

188.

Pietro Adonnino, “ A People’s Europe : Reports from the Ad Hoc Commitee ”, Bulletin of the European Communities, supplement 7/85, Luxembourg, 1985, cité par Chris Shore, Building Europe, Routledge, 2000.

189.

Olivier Baisnée et Dominique Marchetti, op.cit., p.126.