* Journalisme à la chaîne

Pour les équipes en charge de l’actualité quotidienne, les contraintes de temps imposées par le traitement de l’information en continu réduisent encore les possibilités de recherche d’images différentes de celles proposées par les agences audiovisuelles et les partenaires attitrés. Elles limitent aussi les possibilités de recul et de distanciation critique vis-à-vis de l’agenda des autres médias et de leur mode de traitement de l’actualité, seule attitude susceptible de conférer à la chaîne ce “ ton particulier ” qu’elle revendique par ailleurs 232 .

Le montage des sujets dirigé par les chefs d’édition qui encadrent les équipes “ news ” et par les chefs des trois rubriques - Sport, Economia et Europa – s’effectue à partir des images fournies par le service de coordination “ news ”, véritable lieu stratégique de la chaîne. Celui-ci réceptionne les dernières images envoyées par les agences audiovisuelles, les chaînes partenaires, ITN et les EVN, puis établit une description minutieuse des sujets disponibles à laquelle tous les membres de la rédaction peuvent accéder à partir d’une base de données. Une fois monté, chaque sujet est présenté et expliqué aux sept journalistes - un journaliste par langue - qui doivent écrire le commentaire.

La pertinence des sujets peut être discutée collectivement à deux moments de la journée : lors des réunions d’équipes, organisées en début de chaque “ shift ” 233 pour élaborer les grandes lignes du sommaire qui sera remanié et complété au fil des heures ; et lors du “ debriefing ” 234 quotidien animé en anglais par le directeur de la rédaction avec l’ensemble des journalistes aux alentours de 19 heures 30, juste après la première diffusion de la nouvelle tranche informative de la soirée qui comprend le journal et les trois rubriques Economia, Europa et Sport. En dehors de ces plages horaires, le rythme élevé de travail ne laisse guère aux journalistes le loisir de débattre.

A la différence de leurs confrères chargés de la réalisation des magazines, qui disposent d’un studio d’enregistrement et de l’aide d’un technicien, les journalistes des équipes “ news ” et des rubriques doivent assurer seuls le mixage des images et des sons. Dans un espace de la taille d’une cabine téléphonique, insonorisé et parfois surchauffé l’été, le journaliste s’assoit devant un petit pupitre, équipé d’un casque et d’un micro, face à un écran où il sélectionne son sujet. Il lit son commentaire en l’ajustant aux images dont il a préalablement relevé le déroulé chronométrique lors de la présentation du montage par le chef d’édition ou le chef de rubrique. Un autre chronomètre incorporé sur l’ordinateur où le journaliste a tapé son texte, facilite ces ajustements en permettant une rédaction “ sur mesure ”. Le journaliste peut alors se concentrer sur la qualité de son enregistrement. Le casque lui renvoie, en effet, dans les oreilles le son produit à partir de deux sources : sa propre voix et le son d’ambiance qui accompagne les images. Ces indications auditives, combinées à l’observation des signaux lumineux disposés sur le bord de l’écran qu’il doit impérativement conserver dans son champ de vision - tout en lisant son commentaire, tout en regardant les images, tout en contrôlant sa diction - lui permettent, d’une part de s’assurer que le volume sonore de l’ensemble voix plus ambiance se situe bien dans les plages audibles, d’autre part d’harmoniser les deux sources sonores.

Dans le cas du commentaire sportif, l’alternance des sources dominantes correspond à des moments clés du récit journalistique : la voix du commentateur domine le son d’ambiance lors de la description d’une action en cours ; le son d’ambiance lui succède et emplit tout l’espace sonore lors du dénouement provisoire (inscription d’un but) ou définitif (fin du match). A ce rituel sonore correspond un rituel des images: le résultat de l’action (le but) est d’abord filmé en temps réel, puis remontré au ralenti sur un fond d’ambiance. Une respiration dans le discours, le temps pour le commentateur de reprendre son souffle. Un mouvement de caméra en direction des supporters ou vers le banc des entraîneurs – habituels plans de coupe lors du montage des images – signale la reprise imminente de l’action. Pour régler ce “ ballet sonore ”, le journaliste manipule deux curseurs : de sa main gauche, il module le son de sa voix ; de sa main droite, le son d’ambiance.

Photo 1 :Les sportifs font la loi Les vedettes du sport règnent sur les écrans cubains et européens sans discontinuité. Le sport occupe une place de choix dans les programmes.
Photo 1 :Les sportifs font la loi Les vedettes du sport règnent sur les écrans cubains et européens sans discontinuité. Le sport occupe une place de choix dans les programmes.

La coordination de tous ces gestes s’accomplit généralement dans des contraintes chronométriques génératrices de stress : avant la diffusion d’un sujet à l’antenne, les journalistes disposent quelquefois de quinze minutes seulement pour visionner les images, écrire le commentaire et réaliser le mixage en cabine. Tout retard dans la fabrication oblige le journaliste à produire son commentaire en direct lors de la première diffusion et à remixer son sujet en cabine en vue des diffusions ultérieures. Sauf imprévus d’ordre matériel, pas question de suspendre la diffusion des images dans une chaîne d’information en continu et le commentateur doit parfois courir – au sens propre du terme – pour rattraper les images. Chaque jour à Euronews, une douzaine de sujets en moyenne sont mixés par les journalistes de la rubrique Sport qui sont sans doute, au sein de la rédaction de la chaîne, les journalistes soumis aux plus fortes exigences de rendement. La durée de leurs commentaires varie de vingt secondes lorsqu’il s’agit de compléter un tableau de résultats à deux minutes trente pour un récit comprenant une dimension chronologique ou thématique et des extraits d’entretiens qu’il convient de traduire simultanément.

Les scripts sont rédigés à partir des dépêches françaises et étrangères qui se succèdent sur le fil. Six agences de presse se partagent ainsi le “ fil sport ” : l’AFP (France), Reuters (Grande-Bretagne), DPA (Allemagne), ANSA (Italie), EFE (Espagne) et LUSA (Portugal). Pour respecter les délais impartis, souvent très courts, le journaliste sportif utilise les premières dépêches tombées sur le fil, relatives au sujet dont il traite, quelle que soit la langue dans laquelle ces dépêches sont écrites. Il se heurte parfois aux limites de ses propres connaissances linguistiques. Souvent la solidarité et l’amitié qui s’instaurent avec ses confrères et voisins européens confrontés à des difficultés de compréhension du même ordre, lui permettent de combler ses lacunes, d’extraire les informations principales contenues dans les dépêches étrangères et de produire un commentaire dans sa langue maternelle dans les délais imposés.

Mais lorsque le temps manque vraiment, le journaliste sportif doit se débrouiller seul, sans aucune aide ni apport extérieur : il ne peut alors compter que sur sa connaissance de l’actualité, sa culture et sa mémoire pour écrire son script.

Notes
232.

Charte éditoriale d’Euronews, op.cit., voir annexes.

233.

Un “ shift ” désigne la période de travail d’une équipe.

234.

Un “ debriefing ” est un bilan critique.