Deuxième partie :
La tranche informative “ Espacio Europa ”

Pour analyser le discours journalistique, nous allons reprendre la définition du jeu de langage comme face discursive d’un cadre et envisager les tranches informatives du programme “ Espacio Europa ” comme une formation sociodiscursive constituée de jeux de langage. Autrement dit, de parlers adaptés aux différents cadres auxquels participent les journalistes d’Euronews. Ces parlers fusionnent lors de l’énonciation, ce qui rend problématique l’identification de chacun des cadres associés. C’est pourtant à cette tentative de “ démontage ” que nous entendons nous livrer. Nous postulons l’existence de trois “ cadres journalistiques ” dont nous essaierons de repérer les traces dans les énoncés télévisuels : les “ cadres politiques ” du destinateur et du destinataire ²⁹¹  ; le “ cadre technologique ” et le “ cadre du récit ”. Par énoncés télévisuels, nous désignons toutes les formes signifiantes qui concourent à la réalisation du discours journalistique et se prêtent à son actualisation par le récepteur. Malgré la part d’arbitraire que recouvrent nos choix, nous avons orienté nos observations dans trois directions : la ligne éditoriale, le formatage et la scénarisation de l’information. En somme, vers les trois faces discursives des trois “ cadres journalistiques ” que nous nous proposons d’étudier.

Mais les rapports entre champ et discours médiatiques, en particulier la manière dont le travail journalistique s’inscrit dans les logiques du champ, appellent deux remarques :

• En soutenant que le discours des médias exprime les conditions du champ où ils évoluent, nous partageons le point de vue de Jean-Pierre Esquenazi pour qui le terme expression doit être compris, ainsi que le suggère Charles Taylor ²⁹² , comme « une relation de l’exprimé à l’exprimant (du champ au discours) en trois temps distincts :
• • D’abord le discours traduit les règles, lois, normes du milieu dont il est issu. Celles-ci ordonnent sa fabrication et manifestent l’appartenance de ses auteurs au milieu.
  • En même temps cette traduction opère un saut qualitatif ; un discours est un événement qui dépend de circonstances particulières. Le discours incarne donc son milieu sous une lumière spécifique, dans une actualité déterminée.
  • Le discours a, en outre, cette capacité d’étendre, d’amplifier ou de détourner les lois du milieu. Il peut altérer notre rapport à ce dernier d’une façon parfois imprévisible.» ²⁹³  

Nous verrons que ces trois facettes de l’expression – traduction, incarnation, altération – recoupent les trois faces discursives des cadres que nous nous proposons d’examiner. Elles se manifestent ainsi lors de l’élaboration de la ligne éditoriale, dans l’application du format et au moment du choix des mises en scène visuelles.

• Tout jeu de langage se fonde aussi sur la notion de jeu. Ce constat implique de ne pas s’enfermer dans une logique trop rigide ²⁹⁴ pour appréhender le comportement des journalistes soumis à l’influence des conditions du champ. Le « bricolage » au sens où l’entendent Dominique Marchetti et Olivier Baisnée ²⁹⁵ , le « flou » associé au professionnalisme par Denis Ruellan ²⁹⁶ , et pour tout dire l’improvisation, ne constituent pas des aléas mais font partie intégrante de l’activité journalistique en conservant paradoxalement à celle-ci, à l’heure où se concentrent et s’internationalisent les groupes de presse, où les coopérations entre les médias – à l’instar d’Euronews et de la télévision cubaine – se développent et s’institutionalisent, une dimension quasi artisanale. Cette apparente contradiction révèle l’espace de liberté, la part d’initiative, la marge dont dispose tout journaliste exposé aux contraintes du champ, et ses limites.