II-3-a Sept formes de scénarisation de l’information télévisée

La typologie établie par Jean-Claude Soulages 334 repose sur trois critères que nous résumerons de la façon suivante :

  • les “ dosages ” respectifs d’images et de sons que l’on observe pour mettre en scène les sujets retenus ;
  • le choix des personnages et le degré d’individualisation du récit ;
  • la production d’un effet de réel vs la reconstitution assumée en tant que telle de la réalité, le détour revendiqué par la fiction pour dire le réel.

Le dispositif énonciatif de monstration qui est avec la fiction, le spectacle et la simulation, l’un des quatre “ dispositifs énonciatifs de médiatisation de l’information télévisée ”, recouvre, selon cet auteur, sept formes différentes :

  1. la monstration désignative : cette opération de mise en description se réduit à la simple désignation du locuteur par un “ cadrage de base ” qui propose une vue partielle du présentateur (« l’homme tronc ») ou d’un locuteur tiers dont on veut personnaliser le point du vue (un invité du journal) ; mais elle recouvre aussi un procédé qui transforme la surface de l’écran en simple plage de lecture à déchiffrer (générique) ;
Photo 6 :Un émetteur pluriel La double signature de l’émetteur apparaît dès le générique d’Espacio Europa
Photo 6 :Un émetteur pluriel La double signature de l’émetteur apparaît dès le générique d’Espacio Europa
  1. la monstration événementielle : elle inclut tous les procédés d’organisation langagière spécifiques qui reposent sur l’effacement, la relégation de toute médiation explicite du sujet montrant et où le réel est présenté comme “ un monde qui prendrait la parole ” ( le fameux “ No comment ” d’Euronews) ;
  2. la monstration descriptive illustrative : elle repose sur un déséquilibre au profit du son et au détriment de l’image, reléguée à une simple fonction décorative et accessoire ; l’image fait, en quelque sorte, “ tapisserie ” en subissant le “ voco-centrisme ” de la bande-son et du commentaire ;
  3. la monstration descriptive explicative : elle constitue l’opposé de la forme précédente en proposant des “ points de synchrèse ”Le mot synchrèse combine synchronisme et synthèse. Son créateur, Michel Chion, définit la synchrèse comme « la soudure irrésistible et spontanée qui se produit entre un phénomène sonore et un phénomène visuel ponctuel lorsque ceux-ci tombent en même temps, cela indépendamment de toute logique rationnelle. » (Michel Chion, L’Audio-Vision , Nathan-Université, Paris, 1990, p.55). entre les deux types d’énonciation visuelle et verbale, sollicités autant que faire se peut de façon synchrone et dans un souci didactique ; pour cela, on n’hésite pas à faire appel à l’infographie et à la cartographie ;
  4. la monstration narrative relatée : dans la logique du récit journalistique où la fin vient en premier et commande l’agencement de l’histoire, c’est le procédé utilisé lors du retour en arrière, qui permet de saisir “ de l’extérieur ” les causes et la genèse d’un événement ;
  5. la monstration narrative scénarisée : le narrateur épouse ici un point de vue interne à l’univers événementiel en s’appuyant sur l’expérience vécue d’un ou de plusieurs protagonistes ;
  6. la monstration narrative reconstituée : ce procédé s’affiche clairement comme une reconstitution des phases de l’action ; la simulation est ici revendiquée comme “ authentique ” et présentée comme le seul moyen pratique d’accéder au réel.

“ Si certains de ces procédés d’écriture se cantonnent à la simple mise en œuvre de routines professionnelles, d’autres font appel à des formes plus sophistiquées s’originant du genre fictionnel, ” souligne Jean-Claude Soulages. “ Elles proposent alors, de fait, une “ réécriture ” de l’événement en y introduisant un fil rouge, une “ intrigue ”, le scénario d’une dramaturgie avec ses points d’orgue et ses rebondissements. Peuvent s’y greffer alors les figures rhétoriques du récit filmique, en particulier celles du film policier qui n’est bien souvent que la forme fictionnelle du faits divers, avec des dialogues, un flash-back, des leitmotive, des scènes alternées, des musiques, etc. ” Si ce type de scénarios a la faveur de la télévision cubaine, ce n’est pas le cas d’Euronews. Il conviendra de s’interroger sur les raisons de cet écart.

Notes
334.

Jean-Claude Soulages, op.cit. pp. 117 à 131.