III-4 Analyse du dispositif énonciatif

Nous l’avons souligné d’emblée : le principal intérêt de l’analyse assistée par le logiciel ALCESTE réside, à nos yeux, dans la confrontation de ses résultats avec les conclusions que l’on peut dégager d’une autre « lecture » des textes composant le corpus : une approche linguistique fondée sur la problématique de l’énonciation. Quel que soit le mode d’analyse, il importe de bien cerner les limites de toute démarche interprétative. La construction d’un corpus, les options méthodologiques retenues, la sélection des techniques utilisées impliquent des choix qui anticipent, pour une part, l’interprétation des résultats. A cet égard, l’illusion de neutralité induite par l’utilisation de l’outil informatique et de techniques statistiques n’est pas le moindre des dangers. “ La présentation du rapport d’analyse, avec ses listes de résultats, peut inciter à la surinterprétation ”, observe Olivier Laügt 387 . De fait, l’interprétation relève toujours d’un travail largement intuitif dans la mesure où elle mobilise les présupposés implicites et explicites de l’interprète. Ces précisions valent aussi pour l’approche linguistique et la démarche interprétative qu’elle sous-tend, dès lors que l’on s’intéresse à la subjectivité et à ses traces énonciatives. « Parler, c’est signifier, mais c’est en même temps référer : c’est fournir des informations spécifiques à propos d’objets spécifiques du monde extralinguistique », rappelle Catherine Kerbrat-Orecchioni. 388

Dans l’énonciation, » une part notable peut en être décrite en termes de système », constate Dominique Maingueneau 389 . « La description du fonctionnement de la langue suppose l’étude de cette « mise en exercice » du système, qui seule rend possible la production d’énoncés, la conversion de la langue en discours par l’énonciateur. » Présents dans l’énoncé, les embrayeurs (en anglais shifters) , tout en appartenant à la langue, ont précisément pour vocation de « réfléchir » son énonciation en intégrant certains aspects du contexte. Le repérage et l’observation de ces éléments linguistiques livrent des indications précieuses dans la mesure où ils sont « partie intégrante du sens de l’énoncé et on ne peut ignorer ce à quoi ils référent si on entend comprendre ce sens ». Nous reprendrons ici la définition de la classe des embrayeurs proposée par Dominique Maingueneau : elle recouvrira essentiellement « les personnes (énonciateur et allocutaire) et les localisations spatio-temporelles qui en dépendent ». Qui parle dans ce discours ? A quoi référent les énoncés ? De quels lieux et à quels moments ? Voilà les trois questions auxquelles nous allons tenter de répondre 390 .

Notes
387.

Olivier Laügt, “Le discours progressif du discours des experts. Une exploration de leurs représentations avec le logiciel ALCESTE”, in Méthodes et conduites du débat public, Cahiers de Jéricost n°3, Centre d’étude du débat public, IUT de Tours, Université François Rabelais, Tours, 2000, p.43.

388.

Catherine-Kerbrat-Orecchioni, L’énonciation de la subjectivité dans le langage, Armand Colin, Paris, 1980, p.55.

389.

Dominique Maingueneau, op.cit., pp.10-12.

390.

« Analyser dans un texte « l’appareil de son énonciation », c’est tout d’abord identifier qui parle dans ce texte. » (Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, tome 1, Gallimard, Paris, 1991, p.261). L’énonciation peut se définir comme « l’acte au cours duquel des phrases s’actualisent, assumées par un locuteur (et un auditeur ou lecteur) particulier dans des circonstances spatiales et temporelles précises ». (Oswald Ducrot, Tzvetan Todorov, Dictionnaire des sciences du langage, Seuil, Paris, 1972, p.405).