III-4-a Qui parle ?

Intéressons-nous d’abord aux embrayeurs liés à la catégorie de la personne, au sens où l’entend Emile Benveniste dans sa définition du discours : « Toute énonciation supposant un locuteur et un auditeur, et chez le premier l’intention d’influencer l’autre en quelque manière (…), bref tous les genres où quelqu’un s’adresse à quelqu’un, s’énonce comme locuteur et organise ce qu’il dit dans la catégorie de la personne. » Nous allons concentrer nos observations sur quatre types d’embrayeurs, tels que les envisage Dominique Maingueneau 391 :

  • le couple je-tu,qui permet à la fois de se poser en énonciateur et de constituer autrui en allocutaire ;
  • le couple nous-vous,qui joue le même rôle, à ceci près que les pronoms personnels nous et vousne sont pas considérés seulement comme les pluriels de je et tu mais comme des « personnes amplifiées » par opposition à des « personnes strictes » : nous et vous correspondent à une extension et non à une multiplication de je et tu ;
  • les adjectifs et pronoms possessifs comme mon, ton, nos, vos, le mien, le tien, le nôtre, le vôtre, qui contiennent un de ces embrayeurs et déclinent les personnes je, tu, nous, vous ;
  • le pronom personnel indéfini de la troisième personne on, qui est une non-personne mais se situe à la frontière de la catégorie de la personne et qui peut jouer deux rôles : le on indéfini désigne un sujet humain indéterminé et peut s’appliquer à l’énonciateur ; le on peut aussi être appréhendé comme un substitut de nous.

La répartition quantitative des je et des nous dans le discours de nos quatre interlocuteurs va nous aider à établir une première distinction. Selon Dominique Maingueneau 392 , « le nous  permet au scripteur de demeurer dans le registre de la première personne tout en se démarquant du caractère individualisant qu’implique le je… Cet énonciateur n’est pas un individu parlant en son nom propre (je), c’est, derrière lui, l’ensemble d’une communauté savante unanime. Par une sorte de « contrat énonciatif », l’auteur se pose en délégué d’une collectivité investie de l’autorité d’un savoir dont la légitimité repose sur une institution…»

Que signifie l’emploi du je et du nous dans les propos tenus par les professionnels de la télévision cubaine ? De quelle communauté, de quel savoir et de quelle institution légitimant ce savoir est-il ici question ? Dans quel cas le on est-il utilisé ? C’est ce que nous nous proposons de découvrir. Si l’on totalise pour chacun de nos interlocuteurs l’ensemble des embrayeurs relevant à un titre ou un autre de la catégorie de la personne ainsi que les adjectifs et pronoms possessifs contenant ces mêmes embrayeurs – moi, mon, ma, mes, le mien, la mienne, les miens, les miennes, seront ainsi assimilés à je - , on obtient les résultats suivants :

  • Ce décompte appelle trois remarques :
  • Si l’on totalise l’ensemble des je (118) et des nous (243), on se situe dans un rapport de 1 à 2. Ce qui tendrait à accréditer l’idée que nous avons affaire à des porte-parole, à des « délégués d’une collectivité investie de l’autorité d’un savoir dont la légitimité repose sur une institution ». 
  • Ce constat masque des disparités. La faveur dont semble bénéficier le nous auprès de trois de nos interlocuteurs est ainsi particulièrement nette : entre l’emploi du je et l’emploi du nous, le rapport est de l’ordre de 1 à 5.
  • Si l’emploi du je prédomine dans le discours d’un de nos interlocuteurs, cette marque d’affirmation de l’individu n’écrase pas pour autant la marque d’affirmation du collectif que constitue le nous : entre l’emploi du nous et l’emploi du je, le rapport est ici de l’ordre de 2 à 3.

Notes
391.

Dominique Maingueneau, op.cit., p.21-27.

392.

Dominique Maingueneau, op.cit., p.32.