Les références médiatiques à Cuba

L’histoire de la télévision cubaine et la manière dont elle traite l’information divisent nos interlocuteurs qui, toutefois, se retrouvent pour faire l’éloge du téléspectateur cubain.

Les « pages blanches » de l’histoire de la télévision

Une ligne de partage très nette se dessine dans les quatre discours qui composent notre corpus. Dans deux d’entre eux, l’histoire de la télévision cubaine semble avoir commencé en janvier 1959 avec le succès de la Révolution et elle s’écrit au présent. Aucune référence aux dix premières années de la télévision cubaine sous le régime de Fulgencio Batista, aucun temps verbal renvoyant au passé ne figurent dans les discours de Susana Sardiñas et de Fabio Fernandez Kessel. Dans le discours de Susana Sardiñas, l’emploi à deux reprises du futur périphrastique 400 – verbe aller + verbe à l’infinitif – renforce la détermination que souhaite manifester l’énonciatrice à travers des propos dont on peut penser qu’ils ont valeur d’avertissement. On notera dans l’extrait suivant que le verbe informer n’est pas cité parmi les trois missions confiées à la radio et à la télévision cubaines.

‘« Notre radio et notre télévision vont demeurer au service du peuple en conservant leur caractère de service public et culturel. Leur mission est d’éduquer, enseigner et divertir…la cohésion sociale et l’ensemble des facteurs que sont l’identité culturelle, l’éducation pour tous, la primauté des valeurs morales et éthiques, constituent les buts fondamentaux assignés à notre télévision. Personne ne va changer cela. »’

Pour Irma Caceres, il existe un « avant » la révolution, mais celui-ci ne justifie guère de développement, si ce n’est pour souligner la démarche foncièrement élitiste et le manque d’ambition des promoteurs de cette version ancestrale. Le nom de Goar Mestre, le premier propriétaire de la télévision cubaine, n’est même pas mentionné. La rupture temporelle, marquée par un changement des temps dominants, le passage de l’imparfait au présent et au passé composé, correspond à l’année 1959 qui voit « le triomphe de la révolution ».

‘« Je pense que le changement le plus marquant pour la télévision, comme pour tous les Cubains, a été la révolution de 1959. Celle-ci a renouvelé la conception de la télévision. Les installations que vous avez visitées appartenaient jusque-là à une seule personne : la personne qui a fondé la télévision. Dans la mesure où elle était propriétaire de toutes ces installations, c’est son point de vue qui s’imposait et son objectif était de faire une télévision commerciale. La télévision avait un statut privé , elle était très commerciale et aussi très sélective dans son public. Elle ne servait pas les intérêts de la très grande majorité de la population. Avec le triomphe de la révolution, la télévision a commencé à servir les intérêts des ouvriers et des paysans. Une participation beaucoup plus démocratique des personnels qui travaillent à l’intérieur de la télévision a été instaurée. La télévision est devenue un service public. Elle ne s’est pas contentée de divertir les gens. Elle a continué d’offrir du divertissement qui représente toujours un élément important de la programmation, mais elle est devenue avant tout un moyen de culture, de formation et d’éducation. Cela me paraît être un changement fondamental et nous continuons d’avancer dans cette voie. »’

C’est une perspective très différente que trace Vicente Gonzalez Castro, spécialiste de l’histoire de la télévision cubaine. Une histoire qu’il évoque avec d’autant plus de plaisir que le caractère pionnier de la télévision cubaine demeure, pour lui, une source de fierté.

‘« Il convient de garder à l’esprit qu’entre 1950 et 1959 nous avions la meilleure télévision d’Amérique. Les télévisions du Pérou, de Porto-Rico, du Vénézuela, d’Argentine, du Mexique et du Brésil se sont nourries de la nôtre. Et en pratique, le style, la façon de faire la télévision de toute l’Amérique est venue de Cuba dans les années soixante. Certains de ces créateurs sont partis lors de la révolution. »’

Pourtant, les obstacles n’ont pas manqué : le handicap provenant de la cession par les Etats-Unis d’équipements usagés lors des débuts de la télévision cubaine, s’est aggravé après la tentative de l’Union soviétique d’introduire à Cuba ses propres technologies qui accusaient alors un sérieux retard. Selon notre interlocuteur, seuls le génie créatif des techniciens cubains et l’achat au Japon d’un matériel plus moderne ont permis de surmonter ces difficultés.

‘« Le système cubain de télévision est le NSTC. C’est le système des Etats-Unis et des pays d’Amérique. Le camp socialiste européen utilisait, lui, le système SECAM ; et les autres pays d’Europe le système PAL…Lors de l’inauguration de notre télévision en 1950, on utilisait déjà des équipements nord-américains de seconde main. En 1959, ces équipements avaient dix ans d’existence chez nous à Cuba et une vie antérieure : au total, quinze à vingt ans. Nous sommes parvenus à les faire fonctionner jusque dans les années quatre vingt. Pas tous, mais quelques-uns ! Il n’y avait pas la qualité, ni la couleur, ni rien. Les Russes ont alors tenté d’introduire le système SECAM et de changer la norme cubaine. Mais, Dieu soit loué, ils n’ont pas réussi ! Les Russes ont envoyé des équipements de 50 cycles en système SECAM qu’ils ont essayé d’adapter à la technologie cubaine. Cela faillit nous être fatal : plus rien ne marchait ! La qualité était épouvantable, les caméras étaient très, très mauvaises et géantes. Tout cela était terrible… et la période aussi ! En 1980, la télévision cubaine décide de ne plus acheter aux Russes et entreprend d’investir au Japon. C’est alors seulement que notre télévision commence à prendre de l’ampleur. C’est aussi l’époque des satellites qui nous permettent de voir ce qui se passe dans le reste du monde. Parce qu’auparavant, Cuba n’avait accès qu’au satellite russe : Interspoutnik. Mais nous ne pouvions pas pour autant recevoir les programmes russes car nous ne disposions pas du procédé SECAM. Et les Russes, de leur côté, ne pouvaient pas recevoir les programmes cubains car ils ne possédaient pas le procédé américain NSTC. Nous n’avions pas d’appareils de conversion du signal. Alors, pour contourner la difficulté, nous installions une caméra cubaine devant un téléviseur russe. Le sixième sommet des pays non-alignés en 1979 organisé à La Havane a marqué un tournant pour la télévision cubaine. Il y a eu des pressions pour que le signal cubain puisse être capté par le reste du monde. C’est un problème technologique plus qu’un problème de créativité qui a marqué notre histoire récente. »’
Notes
400.

Dominique Maingueneau, op.cit., pp.98-100.