INTRODUCTION GéNéRALE

Les enseignants des écoles classées dans les Réseaux d’éducation Prioritaire (R.E.P) disent accueillir de plus en plus d’enfants dont le comportement « lunaire » ou à l’inverse l’agitation contrarie l’attention, la réflexion et la motivation indispensables aux apprentissages. Ces élèves qui ne paraissent pas s’approprier les bases indispensables à une scolarité épanouie et satisfaisante, laissent démuni, voire perplexe le corps enseignant à la recherche d’une explication et encore mieux d’une solution à ce « grave » problème. D’après nos observations, les cas les plus instables sur le plan moteur et/ou verbal sont dans l’agir avant d’être dans la réflexion. Aucune distanciation entre eux et l’objet n’est mobilisée, peut-être dans le but de ne pas vivre de frustration. Or, celle-ci est nécessaire pour se construire psychiquement, émotionnellement et cognitivement. En effet, cette insatisfaction contribue à l’émergence de nouvelles stratégies permettant de mieux supporter l’attente et le refus ou encore pour détourner leurs affects négatifs. Ainsi, peut-on dire que la frustration favorise une meilleure adaptation aux différentes situations interpersonnelles. Or, cette souplesse adaptatrice semble précisément faire défaut aux enfants qui présentent un comportement impulsif, inattentif ou les deux à la fois. Toutefois, certains enfants, dans certaines conditions, réussissent à s’adapter plus tardivement en prenant appui sur un modèle extérieur (enseignant, tuteur) qui leur sert de référent. On peut dire qu’ils entrent dans un processus de résilience. Ce processus s’étaye sur une prise de conscience de soi (valorisation) et un travail de réflexion de l’enfant permettant une meilleure appréhension des conséquences de ses actions sur son environnement. Ainsi l’enfant avec des troubles de l’attention n’atteint un certain équilibre psychique et comportemental qu’en passant par une adaptation inter-relationnelle.

Le comportement des enfants présentant des Troubles Déficitaires de l’Attention avec ou sans hyperactivité que nous appellerons TDA exaspère les adultes, gêne également les autres enfants, même les plus impliqués scolairement. Ces deux groupes d’enfants aux antipodes l’un de l’autre rencontrent beaucoup de difficultés dans l’ajustement émotionnel et cognitif. Les élèves présentant des troubles de l’attention, immatures sur ces deux plans, fonctionnent davantage sur un mode de pensée primaire où tout est scindé en deux, tout est bon ou au contraire tout est mauvais. En effet, s’ils se sentent rejetés par les autres, ils ne peuvent admettre, voire comprendre pour les cas extrêmes, que c’est leur comportement qui pose problème et non pas leur personnalité toute entière. Ils se sentent mauvais, nuls et ne conçoivent pas de demi-mesures et par conséquent se perdent souvent dans la recherche éperdue d’amour chez l’autre qui est également forcément bon ou au contraire mauvais. Nous nous demandons d’ailleurs, si ce comportement immature, qui s’apparente à ce que l’on peut observer chez le jeune enfant jusqu’à environ 4 ans et qui semble persister chez les enfants TDA, ne témoignerait pas d’une faille relationnelle avec les adultes qui les entourent. Cette faille peut comprendre plusieurs aspects, a) un manque de retour explicite à l’enfant TDA sur le sens et les effets de son comportement ; b) une disponibilité insuffisante pour pallier le manque de reconnaissance vécu par l’enfant ou par l’adulte et l’enfant ; c) un étayage insuffisant du moi de l’enfant concrétisé par l’apport d’un geste, d’une parole sécurisante afin de reconstruire un espace intersubjectif.

Il est certes difficile dans un contexte où les images parentales, familiales, professionnelles voire religieuses sont fragilisées, de trouver des étayages conséquents pour se construire en tant qu’individu possédant une valeur par rapport aux autres et par conséquent par rapport à soi. Ce contexte renvoie à l’environnement indestructible décrit par D. Winnicott (Davis et Wallbridge, 1992). Le sujet, pour se développer harmonieusement, doit rencontrer cet environnement. Autrement dit, l’objet attaqué par l’agressivité naturelle de l’enfant doit rester présent sans exercer en retour des représailles de façon à favoriser l’émergence d’un sentiment d’être et plus tard la capacité d’être seul. Cela nous conduit à considérer que les problèmes d’attention ne sont pas forcément figés. Nous estimons que l’enfant inattentif est capable de se réapproprier une intégrité (corporelle et psychique) à condition qu’il rencontre une ou des personnes qui lui renvoient une image valorisante. Nous avons pu l’observer pour des enfants à l’école qui ont pu « s’arrimer » parfois avec l’un des parents, à l’enseignant (et ou) à l’expérimentateur. Ce concept d’arrimage est emprunté au psychanalyste québécois M. Lemay (1989, 1999) qui parle de « zones d’arrimage » pour expliquer le phénomène d’étayages sociaux impliqués dans un processus de résilience (Anaut, 2002). Nous pouvons également citer P. Fustier (2000) qui qualifie cette rencontre de « rencontre fondatrice » (Anaut, 2002, 2003). B. Cyrulnik parle de « tuteurs de résilience » pour désigner ces relations sociales suffisamment étayantes (Cyrulnik, 2001) parce que s’adaptant aux besoins internes de l’enfant. Comme le souligne M. Anaut, cette rencontre avec une ou des personnes modèles apporte la confiance qui reste indispensable dans l’instauration d’une estime de soi plus positive (Anaut, 2002 a, 2003).

Dans l’objectif de participer à la compréhension des enfants présentant des troubles de l’attention nous avons étudié spécifiquement une cohorte de trente trois enfants dont le comportement alertait les enseignants et les parents. Certains des parents étaient davantage alarmés par un rendement scolaire médiocre tandis que d’autres étaient désemparés par l’attitude de leur enfant en général. Tous venaient implicitement demander une aide concrète doublée de reconnaissance afin de relativiser leur sentiment d’impuissance, voire d’incompétence. Ceci peut traduire, à l’instar des enfants TDA, une difficulté à réguler leurs affects et à les ajuster adéquatement. Tout se passe comme si ces familles étaient écrasées par la fatalité.

Notre démarche de recherche s’appuiera sur l’utilisation de plusieurs modèles théoriques concernant l’existencedes enfants qui souffrent d’un trouble déficitaire de l’attention (TDA) avec hyperactivé (TDAH) ou non.

Nous pouvons considérer que les enfants TDA souffrent d’un handicap au niveau de l’adaptation sociale. Leurs comportements sont rapidement considérés comme anormaux par rapport aux enfants de même âge.

Comment comprendre ce phénomène ? Fait de société ? Hérédité psychologique ? Troubles neurologiques ?

Nous ne souhaitons pas privilégier un courant spécifique étant donné que les différentes descriptions sémiologiques de l’instabilité motrice tendent à converger (Flavigny et Dobroshi, 1998). Notre propos ne consiste pas à rechercher où s’originent les problèmes de l’inattention mais plutôt à comprendre dans le cadre d’une approche globale, que nous qualifierons d’intégrative, le fonctionnement de certains de ces enfants. L’objectif de notre recherche est donc de contribuer à la compréhension des troubles de l’attention chez l’enfant.

Pour ce faire, il nous est apparu intéressant de définir les différents concepts utilisés dans cette recherche sous forme de métaphores. Ces métaphores qui sont conceptuelles, jouent un rôle central dans la science de l’attention et de la mémoire. C’est pour cette raison que les connaissances que nous avons pu assimiler peuvent affecter notre façon de penser et déterminer l’orientation de notre étude des phénomènes cognitifs. Nous avons ainsi tenté d’appréhender les troubles de l’attention à travers des modèles qui restent, certes, incomplets dans l’explication de ces troubles mais qui ont l’avantage de les définir, de générer des inférences.

Ainsi, aucune conception unique, qu’elle soit issue d’un modèle théorique ou explicatif ne pourra être adéquate pour rendre compte du syndrome des troubles de l’attention en particulier. Nous considérons les différents paradigmes (différentes manières de le conceptualiser) existants pour circonscrire les processus de l’attention et de la mémoire chez l’enfant qui rencontre des difficultés multiples (comportementale, sociale, cognitive et psychologique) au moins dans deux lieux qui sont l’école et la maison.

C'est en partant de cette idée que nous pouvons postuler l’existence de deux phénomènes, l’un d’ordre cognitif et l’autre d’ordre psychologique, qui sont indissociables.

Dans le cadre de cette démarche intégrative notre but est de tenter d’approcher le concept de déficit attentionnel et d’étudier ses liens avec un défaut d’organisation psycho-cognitive. Nous proposons de prendre en compte, dans un premier temps, les données descriptives de la population de façon à mener une étude différentielle sur deux groupes socialement et culturellement homogènes. Dans un second temps, notre recherche concernera l’étude des processus d’encodage et de récupération des informations pertinentes pour évaluer la composante cognitive, impliquée dans le développement psycho-affectif de l’enfant. Dans la partie suivante, nous tenterons d’observer l’existence d’un défaut d’organisation dans le traitement des données, soutenant l’hypothèse d’un retard de développement de l’enfant TDA. Cette dernière partie nous servira de tremplin dans la poursuite de notre recherche de mise en lien entre une interprétation clinique et cognitive.

Nous utiliserons à cet effet différents modèles associés à différentes approches (cognitivo-différentielle et clinico-sociale) pour appréhender ces phénomènes. Commençons par examiner ce que nous entendons par trouble déficitaire de l’attention dans le chapitre traitant le développement de l’attention, ensuite nous aborderons les principales métaphores explicatives.