PARTIE THéORIQUE

Chapitre 1. Développement de l’attention

1.1. Approche de différents aspects des troubles de l’attention

1.1.1. Aspects psycho-cognitifs des troubles de l’attention

Concernant la population des enfants présentant des troubles de l’attention, V. Douglas (1983) considère le déficit attentionnel comme un trouble du développement (Camus, 1996). Cependant, elle estime tout comme R. Barkley (1997) que l’enfant présentant un TDA n’est pas déviant au sens souvent donné aux autres pathologies mentales (Seidman, Biederman, Faraone et al. 1997). Elle considère que le déficit est sous-jacent à un défaut de l’autocontrôle. Celui-ci se manifeste par une difficulté à inhiber une réponse tant qu’une information suffisante n’a pas été réunie. Un enfant TDA est particulièrement sensible à une attraction inhabituelle et échoue à envisager la conséquence à long terme de ses actions. Il est plus influencé par les contingences immédiates de l’environnement que par des règles comportementales et des objectifs à long terme. Il dispose d’un petit empan attentionnel et témoigne d’une impulsivité comparable à celle des jeunes enfants. A cet égard, nous allons précisément étudier cette immaturité comportementale sur un plan cognitif. Nous pouvons déjà citer l’étude de N. Börger et de J. van der Meere (2000) dont l’objectif consiste à examiner si le comportement distrait (regard orienté vers des stimuli extérieurs) des enfants TDA avec Hyperactivité interfère avec les performances obtenues à leurs tests, « tests de performance continue ». Ces enfants ne présentent pas d’autres troubles associés à leur hyperactivité. Ils sont âgés en moyenne de 8 ans et 4 mois et leur QI (WISC.R ) est de 102. Ces auteurs ont manipulé la variable temps d’intervalle entre des stimuli visuels présentés de manière régulière ou irrégulière sur écran d’ordinateur. Dans la condition de présentation régulière du temps inter-stimuli, les enfants TDAH continuent à diriger leurs regards ailleurs que sur l’écran mais ils sont capables d’anticiper l’apparition du stimulus et d’y répondre adéquatement en appuyant sur une touche en guise de réponse. En revanche, dans la condition d’apparition irrégulière des stimuli, le fait de regarder ailleurs que sur l’écran interfère négativement dans l’exactitude de leurs réponses. Les auteurs n’ont pas trouvé de corrélation entre un temps de réaction lent et un comportement visuel inadéquat. Ainsi, dans cette étude, c’est le fait de ne pas prévoir l’apparition du stimulus à cause d’un comportement visuel inadéquat qui pénalise les enfants TDAH et non celui d’être lents à répondre.

R. Barkley (1997) suggère que l’inattention est une dimension qui reflète davantage des problèmes liés à la mémoire de travail qu’un problème uniquement attentionnel. Il cite plusieurs recherches comme celle de L. Seidman, J. Biederman, S. Faraone, W. Weber, et C. Ouellette (1997) qui en attestent. Les observations que nous avons menées sur le comportement de l’enfant TDA en classe corroborent cette hypothèse. Le fait de sembler ne pas écouter ce que l’enseignant lui dit, de ne pas se concentrer, de se laisser distraire facilement par ses pairs ou par tout événement inhabituel, d’être oublieux, de ne pas terminer le travail à faire, sont les caractéristiques habituelles de l’enfant TDA (DuPaul et al. (1999). R. Barkley poursuit son argumentaire sur la dimension « hyperactivité-impulsivité » du comportement de ces enfants, en citant des recherches qui révèlent de réels problèmes à adopter des comportements appropriés. Par exemple, les enfants ont beaucoup de difficultés à ne pas interrompre la conversation d’autrui, à résister aux tentations immédiates, à retarder une gratification et ont plus généralement tendance à répondre trop rapidement dans des moments inappropriés. D’un point de vue développemental, R. Barkley fait remarquer que les problèmes d’inhibition apparaissent vers 3- 4 ans, que les problèmes d’inattention surviennent vers 5-7 ans et que la lenteur d’exécution qui caractérise le sous-type « inattentif » apparaît vers 8-10 ans. Ainsi, il observe plus d’enfants de type « hyperactif » à la maternelle et à l’entrée de l’école primaire alors qu’il rencontre plus d’enfants de type « inattentif » à l’école primaire. Il explique cette observation à partir de son modèle théorique (Barkley, 1997a, 1997b). Dans son modèle, l’inhibition et les deux types de mémoire de travail, à savoir la mémoire de travail non verbale et la mémoire de travail verbale émergent en deux temps dans le développement de l’être humain. La première fonction exécutive relative à la mémoire de travail non verbale, qui inclut l’action sensori-motrice pour soi, (en particulier l’imagerie visuelle) débute son développement très tôt. Cette fonction est suivie de trois autres fonctions exécutives (1. auto-instruction verbale, 2. auto-défense verbale contre les manipulations sociales et 3. auto-innovation) qui d’après les observations de R. Barkley, évoluent pour améliorer l’adaptation sociale. Ces observations semblent se confirmer dans les comportements inadaptés des enfants TDA. En effet, ces enfants rencontrent de sérieuses difficultés au niveau de leurs relations sociales, lorsqu’il s’agit de travailler en groupe, en classe notamment. Ainsi, du point de vue cognitif, pour arriver à entrer dans une relation sociale constructive, l’enfant doit accroître sa capacité d’imagerie visuelle lui permettant de différer son action. L’accroissement de cette capacité forme la base de la mémoire de travail non verbale d’après J. Bronowski (1997). Elle favorise la rétention des événements en séquence temporelle, ce qui contribue d’après J. Michon (1985) à la formation d’une estimation subjective du temps. Par la suite, avec l’apparition du langage, émerge le dialogue avec autrui. Vers 3-5 ans, le langage est centré sur soi et est directement observable en public (Flavell, Green, Flavell et Grossman, 1997). Vers 5-7 ans, ce langage devient plus réfléchi et descriptif. Progressivement (de 6 à 10 ans) il devient subvocal pour enfin devenir langage intérieur. R. Barkley (1997b) ajoute que cette intériorisation longue et progressive du langage va de pair avec une amélioration du comportement qui gagne en maîtrise. Or, il est probable que chez les enfants TDA, un retard dans ce processus évolutif ait été rencontré. D’une part, ceci expliquerait pourquoi ces enfants sont impulsifs aussi bien au niveau langagier que moteur étant donné la défaillance dans la phase d’intériorisation. D’autre part, cela montrerait en partant du principe apporté par R. Barkley, que le langage intérieur (concept de Vygotski, 1962) constitue le fondement majeur de la mémoire verbale de travail. Ainsi, les tâches qui sollicitent cette mémoire mettent en difficulté les enfants TDA, (Grodzinsky et Diamond, 1992). R. Barkley (1997) considère que la privatisation du langage contribue au développement de la gratification différée, de l’auto-contrôle (Kopp, 1982) et des principes moraux largement associés à la construction sociale de l’individu. Nous ajoutons au développement de cette période d’intériorisation du langage, celui du désir de grandir, de savoir et du besoin de contrôler. Ainsi, l’attention du sujet porte progressivement sur des objets plus éloignés, des objectifs différés et détournés. Ses motivations se diversifient.