12.1.2.7. Vécu de la grossesse

La longueur des entretiens avec les familles d’enfant TDA a facilité l’abord de la période autour de la grossesse. En revanche, la brièveté de la majorité des entretiens avec les familles d’enfant sans TDA n’a pas favorisé d’échanges spontanés autour de ce thème. Les réponses des parents se soldaient presque toutes par un vécu positif et/ou normal de la grossesse.

Figure 16 : Vécu pré, pendant, post grossesse chez les mères d’enfant TDA
Figure 16 : Vécu pré, pendant, post grossesse chez les mères d’enfant TDA

Cet histogramme donne à voir un nombre important de complications à la naissance de l’enfant, (55 % de l’ensemble) et un nombre sensiblement identique de réponses « grossesse normale » et « ne se sait pas », respectivement à hauteur de 24 % et 21 %.

Nous devons nuancer ce profil en précisant que sur les sept réponses « ne sait pas » quatre sont issues d’un défaut de réponse (1- Présence du père seul à l’entretien qui n’a pas souhaité se prononcer ; 2- Entretien téléphonique avec la mère qui n’a pas permis d’aborder ce thème ; 3- Absence des parents remplacée par un oncle pour l’enfant d’origine turque ; 4- Absence d’entretien formel, rencontre brève avec la mère, insuffisante pour discuter sur ce sujet).

Les 18 complications se répartissent de la façon suivante :

* Cette mère n’a pas souhaité en dire davantage devant son mari lors de l’entretien. Nous précisons qu’ils font partie de la minorité à venir en couple (n = 2). Tous les autres entretiens ont été menés avec les mères et trois menés avec les pères.

Suite à ces résultats, nous supputons que la qualité de l’attachement mère-enfant n’a pas été optimale (voir chapitre 16). Nous savons que l’attention conjointe est primordiale dans le développement de l’être humain. D’ailleurs, M. Tribhou (1994) définit les capacités d’attention et de concentration en tant qu’une même attitude de mobilisation et de fixation de l’activité du Moi sur un objet externe ou interne soumis à l’exercice des capacités cognitives du sujet. Il poursuit son argumentation en recourant au concept Winicottien qu’est la capacité d’être seul (Winnicott, 1969). L’attention et la concentration s’enracinent dans les interactions précoces avec l’environnement affectif, dont la qualité sera déterminante pour l’introjection et la représentation d’un bon objet (au départ la mère), constituant un sentiment de sécurité interne. Ce dernier permet de contenir et de transformer les angoisses dépressives de l’enfant et déterminera plus tard sa capacité à être seul. Cette capacité témoigne par conséquent d’un certain degré de maturation structurelle et fonctionnelle de l’appareil mental. G. Maté (2001) par sa formation médicale et psychothérapeute tente précisément d’expliquer comment et pourquoi les expériences de la petite enfance influencent la biologie et la psychologie du cerveau humain. Pour cet auteur, la maturité est le degré d’individuation, la capacité de la personne de se soutenir elle-même véritablement dans des périodes difficiles, sans se faire « materner » par quelqu’un d’autre. Le terme « véritablement » indique que la personne TDA peut enfouir son anxiété mais pas la nier, celle-ci s’exprimera sous forme de symptômes psychologiques ou somatiques. Par ailleurs, cet abord théorique psychanalytique se retrouve dans la conception neuropsychologique avec le processus du langage intérieur proposé par R. Barkley (1997a, 1997b). P. Fonagy et al. (1993) qui s’inscrivent dans une approche psychodynamique utilisent deux concepts pour expliquer la nécessité d’un appui extérieur dans l’élaboration de ses pensées et de ses sentiments. Il s’agit pour le premier de : « Prereflective or physical self » et pour le second de « reflective or psychological self ». Le « self de préréflexion » correspondrait à la première phase de développement de l’enfant (jusqu’à 6 mois environ) alors que le « self psychologique » correspondrait à une phase ultérieure (les deux premières années avec un schisme entre trois et quatre ans marqué par l’apparition du complexe d’Œdipe). En effet, P. Fonagy et al. (1994) cite plusieurs auteurs comme S. Freud (1900), W. Bion (1967) et D. Winnicott (1956) qui considèrent l’importance des personnes maternantes possédant une bonne capacité d’attention, de sensibilité, de réflexion et de compréhension d’autrui dans le développement de la propre structure psycho-affective de l’enfant. P. Fonagy (2001) ajoute que ce processus d’attachement permet le développement d’une capacité interprétative interpersonnelle. Cette compétence symbolique se retrouve dans l’exploration du jeu, la curiosité, les capacités cognitives et sociales, l’aptitude au langage, le contrôle de soi (tolérance à la frustration, régulation de ses émotions) et la « résilience » (Fonagy, 2001). Cet auteur insiste sur le fait que ce sont les caractéristiques de l’environnement interpersonnel qui permettent l’expression d’un attachement sûre (secure) dans la première année ou les trois premières années (Balleyguier, 1986). Ces caractéristiques interviennent également dans la mise en place progressive du mécanisme interprétatif interpersonnel (MII). Pour expliquer le lien entre l’attachement et le développement de ce mécanisme (MII), P.Fonagy (2001) cite plusieurs études, notamment celles qui révèlent des performances précoces dans des tâches de théorie de l’esprit d’enfants âgés de 5 ans. Ces derniers avaient bénéficié d’un attachement secure dans leur prime enfance (Meins, Fernyhough, Russel et Clark-Carter, 1998 ; Stteele, Holder et Fonagy, 2001).

Ces conceptions et recherches nous éclairentun peu plus sur le comportement inadapté de l’enfant, voire de l’adulte TDA. Si ces sujets ont manqué de soins suffisamment étayants dans les premières années de leur existence alors ils n’ont pu se construire convenablement à travers l’autre. Ceci nous renvoie au concept Winnicottien : « Cross identification ». Ce terme implique la communication interpersonnelle, donc à double sens, concernant les mécanismes d’introjection et de projection qui s’enracinent dans les premières relations mère-enfant. Nous pouvons maintenant comprendre pourquoi ces sujets (adultes et enfants) qui présentent des difficultés attentionnelles sont dépendants des autres. Ils semblent chercher à se reconnaître à travers le regard d’autrui. Tout se passe comme si les individus qui n’ont pas bénéficié de relations suffisamment confiantes et empathiques dans leurs premières expériences ne pouvaient exprimer leur potentiel psycho-socio-cognitif. A cet égard, nous devrions logiquement vérifier la présence de cette dépendance au niveau cognitif dans le chapitre des résultats obtenus à la batterie de tests du K.ABC (Kaufman et Kaufman, 1993) parce que précisément ces enfants ont de la peine à dissocier l’émotion de l’intellect.

Mais auparavant, il nous reste à observer la composante de l’auto-estime des enfants qui présentent des TDA. Suite à ce que nous venons d’avancer au sujet de l’attachement, il est logique de rencontrer une estime de soi assez précaire chez ces enfants, en particulier chez ceux qui vivent presque exclusivement avec leur (s) parent (s).