13.3.2. Discussion des résultats de cette première partie :

D’après le modèle de A. Baddeley (1986), la modalité de présentation des items a une influence dans le processus de traitement long ou court des données. Si les items sont entendus (modalité de présentation auditive), la prise en compte de leurs caractéristiques phonétiques est immédiate. En revanche, si ces stimuli sont lus (modalité de présentation visuelle), un processus de transformation intervient pour construire une représentation phonétique de ces items perçus visuellement.

Par ailleurs, A. Baddeley stipule que dans son modèle, la MCT ne peut maintenir les items actifs plus de 2 secondes, d’où la nécessité de répéter les items. Ce processus d’autorépétition est utile dans la mémorisation des stimuli. Cette notion de temps, associée à la boucle articulatoire nous renvoie à l’idée que les sujets qui articulent vite possèdent un meilleur empan mnésique (Nicholson, 1981). Dans cette perspective nous pouvons expliquer la raison pour laquelle les enfants TDA sont plus performants dans la répétition des chiffres présentés oralement et restitués dans le délai le plus court (5 secondes).

En effet, les chiffres étant phonétiquement plus courts que les mots, leur répétition serait plus aisée si l’on se réfère à l’étude de N. Ellis et R. Henneley (1980). Cette étude révèle que le temps de lecture des items se répercute sur le rendement quantitatif de l’empan mnésique. Le maintien de la répétition subvocale devient alors plus difficile lorsque le temps d’interférence s’allonge et est associé à la résolution d’une tâche secondaire. Or, avec l’allongement du temps, la répétition mentale perd de son efficacité à moins qu’une autre stratégie de rétention mnémonique ne s’engage volontairement. Ainsi, au regard des résultats, il semblerait que les enfants TDA ne mobilisent pas leur attention endogène ou du moins que celle-ci paraît dysfonctionner, en particulier lorsque les stimuli sont présentés visuellement. En revanche, les stimuli entendus, sont appréhendés par une attention exogène qui les capture automatiquement (Nakayama et Mackeben, 1989). Etant donné que cette attention est incapable de maintenir les stimuli suffisamment longtemps, elle ne favorise pas un rendement quantitatif important des items. L’attention contrôlée (endogène) doit alors prendre le relais dans le but d’alléger le coût en ressources cognitives si la stratégie de répétition persiste (cas des sujets TDA).

Avant de nous lancer dans l’interprétation de la différence inter-groupes constatée au niveau de la nature des items, nous rappelons que les sujets TDA sont plus à l’aise avec les données numériques tandis que les sujets Contrôles le sont avec les chiffres et les mots avec même une supériorité des mots. En effet, pour ces derniers, le rappel des mots est indépendant des modalités sensorielles de présentation.

Les théories de F. Craik et R. Lockhart (1972) et de H. Noice (1991) sur les niveaux de traitement des données expliquent cette différence. Selon ces auteurs, un traitement superficiel des stimuli ne favorise pas une récupération ultérieure efficace, tandis qu’un traitement plus profond, impliquant une analyse sémantique et un enrichissement associatif, produit des traces mnésiques durables, facilement récupérables.

En relation avec ces théories, nous pouvons émettre l’idée que les enfants présentant un TDA encodent les items chiffres et mots à un niveau moins profond que les enfants Contrôles. Les enfants TDA se contenteraient de répéter les items pour les maintenir actifs dans la MCT, sans créer des associations sémantiques. Tout se passe comme si ces enfants encodent les chiffres unité par unité (écho-phonétique). Ils perdent, de ce fait, le bénéfice de la répétition phonétique transitoire lorsqu’il s’agit de lire des mots à deux syllabes. A l’opposé, les enfants Contrôles ne paraissent pas perturbés par cet effet de répétition phonétique. En effet, ils semblent développer des stratégies mnémoniques. Les chiffres peuvent être regroupés en « chunks » notamment. Concernant les mots, ils seraient encodésdirectement phonétiquement sans passer par la conversion grapho-phonétique (présentation visuelle) étant donné que l’effet de longueur des mots n’opère pas pour eux.

Le modèle de P. Salamé et A. Baddeley (1982) prétend que les données auditives accèdent directement au stock phonologique tandis que les données visuelles doivent d’abord être articulées. Nos enfants avec TDA rappellent plus facilement les séries d’items Chiffres présentées Auditivement lorsqu’ils se trouvent dans des conditions appropriées (sans perturbations contextuelle et temporelle). Ce résultat est en accord avec le modèle de P. Salamé et A. Baddeley. Quant à l’efficience de la Modalité Visuelle dans l’encodage séquentiel des données verbales (chiffres et mots) et dans leur récupération pour les enfants sans TDA, quelles que soient les conditions et les temps de perturbation, elle s’explique par le modèle de N. Burgess et G. Hitch (1999).

Ce modèle s’inspire des modèles de A. Baddeley et G. Hitch (1976) et de R. Campbell (1990) pour comprendre les différences observées au niveau des modalités. Mais contrairement à ces derniers, N. Burgess et G. Hitch considèrent que les items visuels n’ont pas besoin de passer à travers le processus de conversion graphème-phonème lorsque les sujets sont des lecteurs confirmés, exceptés pour des non-mots polysyllabiques. Or, ceci semble être le cas pour nos jeunes sujets. Tous maîtrisent la lecture de mots ordinaires. Cependant, nous constatons un décalage dans la récupération des items présentés visuellement entre les enfants Contrôles et les enfants TDA. En effet, ces derniers, en particulier les garçons TDA ont besoin d’un temps d’apprentissage plus long que pour les autres enfants. Nous remarquons que les filles TDA possédant un style cognitif séquentiel (réf. Profil cognitif obtenu au K.ABC) s’adaptent plus facilement dans l’apprentissage sériel des items lorsque la situation l’exige (passage d’un traitement auditif à un traitement visuel des données lorque le temps de latence s’allonge). D’ailleurs, les résultats à la batterie de tests cognitifs (K.ABC) révèle qu’elles sont aussi plus performantes que les garçons TDA et que les filles Contrôles dans le rappel des suites verbales (Suites de Mots et Mémoire Immédiate de Chiffres) présentées oralement. A l’opposé, les garçons TDA sont plus résistants à opter pour un autre mode d’encodage pourtant plus efficace. Leurs résultats n’indiquent pas d’effet de Modalité de présentation.

Néanmoins, le codage auditif dont le processus s’avère plus rapide pour les données numériques que pour les mots, opère directement chez ces enfants à l’instar des enfants du groupe Contrôle. Cependant, chez ces derniers, la route d’accès des inputs visuels apparaît aussi rapide que celle des inputs auditifs pour leur codage et leur récupération. C’est sur cette conception que nous émettons l’idée d’un défaut de maturation cognitive chez les enfants qui présentent des troubles de l’attention.

Cette idée renvoie à l’hypothèse d’un défaut de stratégie dans le traitement des données d’ordre temporel (tâches séquentielles).

Nous souhaitons maintenant vérifier le rôle du type de trouble déficitaire de l’attention dans les scores obtenus. Pour ce faire, nous avons ôté un enfant qui est le seul à présenter une hyperactivité. Nous rappelons que ce groupe de trentre trois enfants TDA est constitué de douze garçons et onze filles dont le comportement a été diagnostiqué par le questionnaire de J. DuPaul et ses collègues (1998) de type combiné et de sept garçons et deux filles de type inattentif.