16.1.4. Analyse synthétique des différentes données

La grossesse a été difficile et suivie d’un traumatisme (décès du père de Maya) alors que l’enfant avait cinq ans. Nous pouvons nous interroger sur la disponibilité de cette femme à devenir mère. La grossesse n’a pas été investie, seulement subie avec un début et une fin. Ainsi, cette mère n’a jamais pu jouir d’initiatives pour elle et son enfant qu’elle portait. La « préoccupation maternelle primaire » concept apporté par D. Winnicott (1956) semble avoir été négligée. La mère ne dit pas si elle a désiré cette grossesse. Elle dit simplement que sa mère l’avait élevé très strictement, que son conjoint était immature et que son père l’avait rejeté. Nous imaginons par conséquent que cette jeune femme n’a pu bénéficier d’un environnement suffisamment stable et soutenant à cette période. Par ailleurs, étant préoccupée par la maîtrise de son corps, nous pouvons nous demander si elle a pu donner des réponses ajustées aux demandes de son enfant. La représentation du corps étant déformée a-t-elle pu se représenter, signifier adéquatement les représentations sensori-motrices de son enfant ? Ceci nous amène à nous interroger sur l’ajustement des liens réciproques d’identification entre la mère et son enfant. D. Winnicott précise que le « holding » (façon dont l’enfant est porté), le « handling » (la manière dont il est traité, manipulé et soigné) et « l’object-presenting » (mode de présentation de l’objet) sont les trois processus qui ne forment qu’un selon la formule suivante, 1 + 1 + 1 = 1 et qui participent à la constitution du Moi de l’enfant. Ils permettent d’acquérir la capacité d’être seul en présence d’une autre personne (Winnicott, 1958). Or, Maya éprouve d’énormes difficultés à jouer seule chez elle. Elle a constamment besoin de la présence de sa mère à ses côtés et ne sait comment s’occuper. Elle s’agite et devient bruyante. Nous avons donc l’impression que son environnement psychique interne n’est pas suffisamment mature.

L’enfant revit une situation avoisinante de celle qu’a vécue la mère. Toutes les deux ont grandi sans autorité paternelle. La figure du père reste ambivalente. Pour la mère, il y a eu rejet, non reconnaissance tandis que pour la fille, son père l’a abandonnée.

La mère est en situation de recherche d’emploi (serveuse). Elle affirme que cette situation est mal vécue par toutes les deux. Elle fréquente un homme qui ne travaille pas et qui commence à les excéder. Nous constatons que la relation triangulaire reste difficile à construire pour ce binôme. Cette difficulté conforte l’idée d’une immaturité psychique.

Toutes les deux ont des comportements impulsifs et sont sujettes à des crises de colère, à des caprices (fille). Socialement, les deux sont agréables mais la fille a un net penchant à être bon public pour toutes les mauvaises occasions. Néanmoins, Cette enfant réussit à s’exprimer par le théâtre. Cette expression traduit une maîtrise de son énergie, de ses agitations intempestives. Ainsi, une pulsion partielle de désir sexuel d’après la théorie Freudienne se sublime en curiosité dans la comédie. Cette pulsion est dérivée vers un nouveau but où un objet socialement valorisé est atteint. Ainsi, nous observons par le processus de sublimation l’expression du narcissisme de l’enfant. D’ailleurs, la note totale obtenue au questionnaire de l’Estime de Soi se situe dans la classe la plus élevée (soit entre 94 et 99 centiles). Maya possède un niveau d’auto-estime très élevé par rapport à la moyenne qui lui permet de mieux supporter les difficultés rencontrées en dirigeant son attention vers d’autres actions « canalisées » comme jouer la comédie ou chanter. En ce sens nous constatons que le narcissisme (quête de soi en l’autre) de cette enfant s’est construit massivement et qu’il pourrait entraver le processus de distanciation affective et cognitive par rapport à tout objet. De ce fait, cette petite fille ne semble pas mesurer les conséquences de son comportement inadapté.

Sur le plan cognitif, Maya rencontre des difficultés lorsqu’il faut percevoir de suite les données dans leur globalité. Elle a besoin de bien comprendre ou de bien percevoir les stimuli, l’un après l’autre pour ensuite les synthétiser. Cette synthèse nécessite alors la capacité de se décentrer des informations perçues visuellement ou auditivement pour les retraiter cognitivement. Cette dépendance à l’égard du champ perceptif guide l’action du sujet au même titre que Maya exige la présence de sa mère à ses côtés pour jouer ou faire ses devoirs. Ainsi, la flexibilité cognitive et attentionnelle apparaissent difficiles chez cette enfant. Par ailleurs, le fait de ne pas pouvoir réaliser mentalement des opérations de base pour répondre à des problèmes arithmétiques peut révéler une difficulté à compter pour quelqu’un. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, nous pouvons nous interroger sur la place du tiers dans sa relation duelle avec sa mère. Les deux, mère et fille semblent se suffire à elles-mêmes et évincent de ce fait toute personne susceptible de modifier la dynamique de leur système familial. Cependant ce comportement ne correspond pas à leur désir de nouer des liens avec autrui. Il existe comme une impossibilité à maintenir un espace et un temps suffisamment bien coordonnés afin d’aménager une relation harmonieuse avec autrui. Ceci nous renvoie à l’espace transitionnel de D. Winnicott dont la fonction de transition s’est avérée et s’avère toujours défectueuse. Nous rappelons que Maya suce son pouce et que pendant son sommeil, sa mère vient toujours la réveiller à une heure précise pour aller aux toilettes. Ce premier fait nous permet d’envisager que l’objet transitionnel s’est transformé en un objet permanent comme si Maya souhaitait maintenir sa mère sous son joug. Le second fait ressemble fort à un rite qui permet de répéter le lien et par là-même vérifier sa présence. L’enfant et la mère se rassurent en agissant de la sorte. Ce rite entretient une dépendance réciproque. Nous pouvons suggérer que la mère cherche à s’identifier à sa propre fille et vice versa. Les deux semblent réagir en miroir et ne pouvoir se dire la souffrance d’avoir été abandonnées, chacune par son propre père.

Nous restons optimistes quant à l’évolution de ce système familial. En effet, la mère en se rendant chez un psychiatre atteint progressivement une autonomie. Elle est capable de verbaliser ses émotions même si à certains moments elle passe par des phases de « crises » selon ses termes, où elle ne peut supporter aucune frustration. Nous terminons sur le fait que la mère et sa fille sont actuellement bien entourées par la famille maternelle (grand-mère et tantes). De ce fait, nous pensons que ces deux êtres ont su mutuellement se nourrir narcissiquement après une période de clivage (bonne mère maternante et mauvaise mère coupable de la disparition du père).