Chapitre 17. Discussion générale et perspectives de recherche

17.1. Concernant l’enfant TDA, sa famille, l’enseignant et l’expérimentateur

La passation des épreuves s’est d’abord réalisée dans un bureau avec l’expérimentateur. Ce premier lieu a, semble-t-il, contribué à instaurer une relation privilégiée avec l’enfant, en particulier avec celui présentant des troubles de l’attention. En effet, cette situation duelle, peu coutumière, ressentie comme valorisante lui a offert un fondement suffisamment stable et sécurisant. De ce fait, cet enfant a pu s’investir avec moins de crainte, d’appréhension dans la résolution des tâches en situation collective. Là, il était encore contenu, encouragé et encadré par la même personne rencontrée dans le bureau.

Nous nous interrogeons par conséquent sur l’effet de la présence de la même personne (expérimentateur) dans tous les lieux. Le fait certain que l’enfant TDA se soit aperçu de l’intérêt particulier qu’on lui portait (expérimentateur, enseignant, parents, …) semble avoir modifié son comportement. Cependant, nous ne savons pas jusqu’à quel point. En effet, en échangeant fréquemment avec les enseignants, nous avons constaté le changement de leurs représentations et donc de leur manière d’agir envers les enfants TDA. Les entretiens menés avec les parents ont également soulevé, initié des remises en questions. Ainsi, l’effet combiné de ces interactions a certainement favorisé une restructuration au niveau des représentations et au niveau de la qualité des relations interpersonnelles. En cela, nous pouvons énoncer un processus de résilience chez certaines familles qui ont su se remobiliser en partie grâce à une personne leur renvoyant une image valorisante (voir les portraits d’enfants au chapitre 16). L’enfant et ses parents se sentent considérés grâce à une écoute attentive et empathique. Le retour sur les aptitudes cognitives de l’enfant s’est toujours réalisé avec un compte-rendu à l’enfant, ses parents et l’enseignant. Nous avons pris le soin de valoriser les points forts et de restituer les habiletés moins performantes. De la sorte, les relations de confiance et de respect mutuels se sont instaurées naturellement. Elles ont favorisé l’émergence d’une évaluation de l’estime de soi plus proche de la réalité, plus sincère. L’enfant TDA semblait comprendre progressivement que sa valeur n’était pas dépendante de ses résultats scolaires ou de ses actes souvent inappropriés.

Ainsi, cette alliance que nous pouvons qualifier de résiliente a pu se concrétiser pour certains enfants.

Nous souhaitons également préciser notre analyse sur le comportement des adultes (nous incluant) envers ces enfants.

Les enseignants nous confient qu’à certains moments, excédés, ne peuvent plus gérer, ni accepter le comportement de ces enfants. Ils se sentent agressés, voire déconsidérés et pourraient exercer des violences contre l’enfant. Ces difficultés sont heureusement récupérables parce que l’enfant craint de perdre l’amour de son enseignant. Leurs relations se réajustent ensuite au sein du groupe classe. En effet, les autres élèves forment alliance avec l’enseignant et ensemble, ils contiennent l’enfant TDA de type combiné surtout. Ce processus observé sur environ deux années pour chaque enfant, nous confirme une heureuse évolution parce que précisément l’enseignant garde un espoir, dépasse son sentiment d’inexorable impuissance. Tout se passe comme si l’enfant TDA pousse l’enseignant ou le parent à régresser psychiquement en le faisant vivre des émotions à l’état brut comme lui. Les deux soi, celui de l’adulte et de l’enfant TDA, se situent alors sur un même registre. Ce registre est celui du processus primaire dans lequel l’énergie cherche à s’organiser. Lorsque le point de rupture est à la limite d’être franchi ou est franchi (perte de contrôle de l’adulte), l’enfant TDA inhibe son comportement perturbateur, le temps pour l’adulte de se reprendre (autocontrôle). Ce temps semble profitable à l’enfant dans le sens où il n’est plus acteur mais observateur de la conséquence de son comportement. L’enfant TDA possédant une auto estime insuffisamment développée souhaite être reconnu avant d’accéder à un espace symbolique plus élaboré et mieux contrôlé. Cette interaction, que nous avons déjà qualifiée de discontinue doit se répéter souvent, jusqu’à ce que l’enfant, par l’intermédiaire de ce même adulte, se comprenne, se réapproprie son soi. Nous parlons de réappropriation car nous envisageons un soi resté à un niveau inférieur insuffisamment relayé par le niveau supérieur. C’est grâce au dialogue avec une personne suffisamment proche du soide l’enfant que les connexions entre le corps et le cerveau vont se réorganiser pour asseoir le je de l’enfant. Cette évolution permet au moi idéal de se rapprocher de l’idéal du moi en dépassant les frustrations, afin de rétablir le sentiment d’estime de soi (Develay, 1992). D. Winnicott utilise le terme de personnalisation pour décrire le développement d’un espace psychique intérieur et extérieur délimité par une frontière et la construction d’un schéma corporel. La personnalisation signifie donc que la psyché s’inscrit dans le corps et qu’au fur et à mesure que l’esprit s’élabore grâce aux échanges interpersonnels le corps entier devient lieu de résidence du soi. Une fois, le soi établi, le sens de la réalité dépendra des soins adaptés apportés par les parents à l’enfant. Pour D. Winnicott, le développement émotionnel de l’enfant dépend d’une bonne relation à la réalité partagée. Ainsi, cet auteur relie le holding (soutien) et le handling (soins physiques, utilitaires donnés à l’enfant mais aussi les contacts affectifs et gratuits tels que les caresses, etc.) de l’enfant à la personnalisation (Davis et Wallbridge, 1981). Pour cet auteur, à l’instar de S. Freud, le self est variable, il peut se développer harmonieusement et quelquefois peut régresser. Dans une perspective cognitiviste, ce processus s’apparente à celui décrit par J. Piaget et ses disciples néo-constructivistes. En effet, il semble indispensable qu’un temps de perturbation préexiste (accommodation) à un temps d’assimilation des nouvelles connaissances. Ces différentes phases nécessitent également un temps d’équilibration avant d’atteindre une certaine stabilité. L’objectif est atteint à partir du moment où la restructuration des anciennes connaissances s’adapte aux nouvelles situations plus complexes. Ainsi, d’après les résultats expérimentaux et l’observation d’un comportement semblable aux jeunes enfants, l’enfant TDA semble avoir besoin d’un temps de maturation plus long que les enfants de son âge pour atteindre son équilibre intérieur. Nous adhérons à l’optimisme de B. Cyrulnik, en attribuant un rôle crucial aux échanges interpersonnels structurants pour l’enfant TDA et pour tout enfant ou adulte dont l’attachement a manqué de soutien approprié.

Pour notre part, nous n’avons jamais assumé la fonction d’exécutoire. Notre rôle d’interface entre les différents intervenants se situe à la fois en dedans et en dehors du monde scolaire un peu comme l’espace-temps de l’objet transitionnel de D. Winnicott. Dans le bureau interne à l’école mais en dehors de la classe, l’enfant TDA se risque à s’exprimer, même de manière chaotique. Il sait qu’il est dans un espace-temps protégé du monde extérieur mais aussi intérieur. Son comportement devient plus adapté en dépit de quelques tentatives pour mener l’adulte à sa guise. En effet, son attitude souvent familière et spontanée, nous considère de suite comme ses alliés. Nous ajoutons qu’il aurait pu nous juger ennemis étant donné son fonctionnement psychique binaire.