conclusion

Notre objectif général consistait à mieux comprendre les enfants présentant des troubles de l’attention que nous avons nommés enfants TDA. Nous postulions que ceux-ci présentaient un problème d’organisation cognitive et émotionnelle qui se répercutait sur leur capacité d’apprentissage. Les analyses qualitatives ont montré que certains de ces enfants ont vécu un attachement primaire peu sûr et qu’ils entretiennent des relations souvent conflictuelles avec leur(s) parent(s). Les mères semblent le plus souffrir de cette situation et certaines d’entre elles manquent vraisemblablement de mots pour exprimer leurs difficultés.

Notre observation (deux ans pour chaque sujet) sur le terrain nous a amené à interpréter cliniquement le comportement de l’enfant TDA. Cet enfant est obligé de pousser à bout l’autre (enfant ou adulte) pour retrouver en quelque sorte un double de son soi. Pour D. Winnicott (1971), la construction et la reconnaissance du premier objet est d’abord un doub de soi, un miroir de soi. Cette étape semble indispensable pour établir le narcissisme primaire de l’enfant (Freud, 1914). Il semblerait par conséquent que l’assise de ce narcissisme soit instable. Ce processus qui conduit à la subjectivation exige par conséquent du temps pour l’enfant et de la patience pour l’adulte qui s’occupe de lui.

Concernant les analyses quantitatives, les résultats indiquent que les enfants TDA rencontrent plus de difficultés à maintenir en mémoire des éléments simples lorsqu’une tâche concurrente est présente. Ceci confirme une surcharge cognitive dans le sens où le « superviseur attentionnel », instance qui contrôle, ne joue pas son rôle régulateur (déterminer la bonne information et inhiber la non pertinente afin de lui attribuer un niveau suffisant en ressources attentionnelles). La mémoire de travail s’en trouve vite saturée (nombre d’informations encodées minoré). Les stimuli visuels distraient alors l’attention de ces enfants et ces derniers s’expriment par un comportement inadapté. Ce comportement emprunte, soit l’agitation motrice, soit l’agitation verbale excessive, soit un retrait. Sur ce dernier point, nous ne savons pas si ce retrait se réalise dans l’imaginaire ou dans des représentations de mises en acte ou encore dans un espace sans imaginaire (impasse). Par ailleurs, les résultats aux tâches évaluant la flexibilité cognitive révèlent chez ces enfants un ancrage dans les données numériques présentées sous une modalité auditive. Cet ancrage souligne un défaut de flexibilité cognitive qui se traduit par un manque de changement de stratégie. Il s’ensuit alors un apprentissage plus laborieux des données, associé à une difficulté d’encodage d’indices pertinents. Or, ces derniers jouent un rôle important dans la récupération des informations conformément au modèle de K. Ericsson et de W. Kintsch (1995). Le modèle de A. Baddeleley nous aide également à mieux comprendre le fonctionnement cognitif de ces enfants. En effet, la perception auditive est plus facilement accessible lorsqu’aucun autre stimulus issu de l’environnement ne vient perturber l’encodage des séries d’items. Dans le cas contraire, en situation collective notamment, l’attention de ces enfants n’est plus dirigée et l’objectif assigné par la tâche à résoudre n’est pas ou que partiellement atteint. Le comportement agité ou alors rêveur se laisse distraire par des stimuli extérieurs ou internes non pertinents comme si ces enfants attendaient quelque chose mais ne savaient pas quoi. Nous constatons que ce comportement observable s’enferme quelquefois dans une répétition, elle-même circonscrite dans un espace temps, réduisant la place à accorder un réaménagement psychique et corporel. Il semble se traduire par un rejet/réflexe de tout élément porteur d’un sens. Les échanges interpersonnels sont alors interrompus. Cependant, nous estimons que les sens restent éveillés et qu’ils stockent des informations à l’état brut. Nous interprétons cette répétition dans l’agir ou dans le retrait en tant que tentative pour inhiber tout sentiment de malaise interne (attendre quelque chose de primordial pour soi dont l’identité reste indéfinissable. Cependant on peut trouver cet objet chez l’autre afin d’être reconnu par l’autre). Par cette stratégie défensive, l’enfant TDA ne met pas en péril son organisation psychique puisque nous avons constaté qu’une évolution dans son comportement psycho cognitif était possible (capacité à entamer un processus résilient lorsque l’enfant parvient à s’ajuster à l’autre). Cependant, cette répétition semble suspendre l’intégrité du sujet et le placer dans un espace-temps différent du nôtre, sans doute nécessaire à un travail d’appropriation des informations restées à l’état brut, autrement dit, restées collées à leurs affects (dans le sens où ce n’est que le corps qui s’exprime). Ainsi, nous nous interrogeons toujours sur la pertinence à ce moment précis, à voir dans le comportement de ces enfants un processus de résilience. Comme l’indiquent Masten, Best et Garmezy (1990) cités par M. Anaut (2003), les facteurs de protection dépendent du développement des six caractéristiques cognitives suivantes : (1) stabilité de l’attention, (2) capacité à résoudre les problèmes, (3) séduction envers les pairs et les adultes, (4) compétence manifeste et perception de l’efficacité, (5) identifications à des modèles et rôles compétents, (6) projets et aspirations. Or, ces enfants dont la capacité attentionnelle liée à la mémoire de travail est souvent réduite, expriment certes leurs émotions mais éprouvent d’énormes difficultés à exprimer leur sentiment à l’instar de certains de leurs parents. Leurs corps et esprit sont séparés tout comme leurs émotions et leurs sentiments. D’ailleurs, cette difficulté à mettre en mots leurs affects remet en cause le processus psychique de résilience défini par De Tychey (2001) en tant que la mobilisation conjointe des mécanismes de défense du Moi (rigidité ou souplesse) pour affronter le déplaisir du traumatisme et la capacité d’élaboration mentale (Anaut, 2003). Certes, certains de ces enfants n’ont pas forcément un vécu primaire (réf. Attachement primaire) difficile ou encore traumatique, cependant, la plupart montrent un défaut d’organisation de leurs affects qui empêche une construction solide de leurs représentations. Ce défaut d’organisation se transpose dans d’autres domaines comme l’incapacité à ranger leurs propres affaires notamment ou encore l’incapacité à organiser logiquement un ensemble de données disparates et abstraites dans une tâche. C’est sans doute à cause de ce défaut d’organisation mentale que leurs perceptions/émotions et leurs représentations/sentiments ne parviennent pas à s’équilibrer et se stabiliser afin de réélaborer de nouvelles représentations. Cette difficulté peut se traduire comme nous l’avons constaté dans nos résultats par une lenteur au niveau des apprentissages. Tout se passe comme si ces enfants mettaient plus de temps que les autres à mobiliser leur attention dans le but d’acquérir des automatismes et une fois ceux-ci intégrés, comme s’ils rencontraient des difficultés à mobiliser leur attention vers d’autres objets d’apprentissage (réf. Filles TDA au K.ABC restant au niveau de leurs acquis en lecture et compréhension). Cette lenteur d’acquisition et d’organisation de nouvelles informations conforte l’idée d’un dysfonctionnement et non pas d’un déficit de l’attention chez les sujets TDA dans le sens où leurs performances les placent à des niveaux d’enfants plus jeunes (réf. Résultats à la FCR). A contrario, chez les enfants cérébrolésés, l’atteinte cérébrale entraîne un déficit neurologique qui altère le fonctionnement cognitif, empêchant le recouvrement total des fonctions exécutives (voir chapitre 1). Leurs stratégies compensatrices restent limitées (auto-régulation psycho-cognitivo-sociale altérée) alors qu’elles s’améliorent chez les enfants TDA (voir partie résultats). D’un point de vue psychologique, cette difficulté à mobiliser son attention vers de nouveaux objets d’apprentissage révèle par conséquent un problème d’inscription de l’objet dans la durée et dans l’espace. Elle renvoie d’ailleurs à l’espace et au temps de vie de l’objet transitionnel, concept amené par D. Winnicott. Encore faut-il que cet objet soit conscientisé par le sujet (rôle de l’attention endogène). Nous pouvons émettre une autre idée en faisant référence au concept de « viscosité » approché par B. Inhelder et explicité par L. Morgado et S. Parrat-Dayan (Morgado et Parrat-Dayan, 2003). En effet, cet auteur a observé le fonctionnement mental d’enfants déficients mentaux. Elle s’est aperçue que pour résoudre une tâche, ces sujets persévéraient plus longtemps que les enfants ordinaires dans la même procédure entamée malgré son inefficacité. Elle interprète le fonctionnement cognitif de ces enfants comme reposant sur un équilibre précaire entre deux niveaux de conceptualisation appartenant à des structures différentes. Autrement dit, la phase d’équilibration semble ne jamais atteindre un équilibre. Nous pouvons penser, à l’instar de ces sujets, que les enfants TDA qui ont participé à notre étude sont trop dépendants à l’égard du champ (attention exogène) et que leur capacité à extraire des éléments pertinents de leur environnement risque de se limiter à des abstractions figuratives parce que précisément un minimum d’organisation mentale n’a pas été élaboré.

Ainsi, nous pouvons spéculer que cette inadaptation, liée à un manque de flexibilité cognitive et à un défaut d’attention endogène (contrôle) se traduit par un empan mnésique réduit (réf. Capacité attentionnelle) et une mémoire de travail vite saturée, associée à une organisation défaillante des stimuli pertinents à traiter. L’ensemble de ces difficultés provient peut-être de l’incapacité de l’enfant TDA à concevoir une représentation claire et unifiée de l’objet qui lui manque. En effet, lorque la tâche des « suites alternées » (réf. Hypothèse 2) associée à un changement de consigne est introduite consécutivement aux tâches des suites d’items à rappeler simplement dans l’ordre, les enfants TDA anticipent difficilement ce changement. Leur représentation de l’information à traiter s’en trouve perturbée. Cette conception nous provient des premières expériences du nouveau-né et de sa relation avec l’objet primaire qu’est sa mère. Les témoignages des mères sur le vécu de leur grossesse (voir chapitre 12) nous confortent dans l’idée d’une influence de la qualité de cet attachement primaire et/ou celle du climat familial sur le développement affectif et cognitif de l’enfant. Par ailleurs, nous constatons que les enfants TDA vivent souvent dans l’immédiateté. Leur attention endogène supplantée par une attention exogène instaure un équilibre particulier qui ne nécessite aucun effort pour réfléchir et organiser. Confrontés à une situation frustrante, leurs émotions sont activées directement et s’expriment par un comportement instable et agité ou au contraire rêveur. Comme nous l’avons déjà avancé antérieurement, la conscience de leur intégrité corporelle et psychique semble alors se suspendre. En effet, l’inscription multiple dans le temps, dans l’espace et pour quelqu’un d’autre (destinataire) s’interrompt jusqu’à ce que quelqu’un se sente être ou accepte d’être le destinataire et ensuite endosse les fonctions de miroir et de soutien. Ces fonctions amènent l’enfant à l’autonomie psychoaffective et cognitive. En poursuivant dans une optique plus cognitive, notre nouvelle hypothèse relative à une difficulté à se représenter un objet dans son intégrité pour mobiliser sa motivation et son attention souligne l’incomplétude des modèles de la mémoire de travail que nous avons évoqués. En effet, il serait utile d’intégrer dans ces modèles un module qui permette de vérifier si le bon objet a été correctement représenté et aussi de comprendre pour quelle(s) raison(s) il ne peut pas être représenté. Nous nous rendons compte qu’en l’absence d’une représentation de l’objet cible, nous manquons de motivation et nous ne pouvons pas anticiper car nous n’avons pas d’objectif prédéfini. Notre attention devient alors dépendante des stimuli externes ou internes. Comme nous l’avons constaté, les enfants TDA ne lieraient pas les caractéristiques de l’objet perçu à celles déjà intégrées dans leur mémoire déclarative (MLT) pour l’organiser. Leurs perceptions se limiteraient à ne relever que des particularités figuratives et non sémantiques de l’objet (voir résultats obtenus à la FCR). Cependant, comme nous l’avons déjà avancé, lorsque cet objet devient familier, les traitements cognitifs deviennent plus adéquats car plus focalisés intentionnellement. La tâche distractrice perd alors de son efficacité. C’est le cas notamment des rappels sériels et ordonnés.

Enfin, pour conclure, nous estimons que l’attention endogène n’est possible que si l’enfant est capable de se motiver pour atteindre un objet précis. Or, si l’identité de ce dernier reste floue aucune représentation cohérente de celui-ci n’est alors possible. A partir de là, l’enfant se retrouve dans une situation de dépendance où il va tenter de se raccrocher à n’importe quel stimulus externe notamment puisque l’objet interne n’est pas construit, stabilisé. Cette dépendance à l’objet n’est pas assimilée par l’enfant TDA (échec de l’appropriation) dans le sens où il ne trouve pas adéquation entre l’objet externe et l’objet interne non représenté ou que partiellement représenté. Ses tentatives d’adaptation à son milieu restent alors infructueuses jusqu’à ce qu’il rencontre une personne suffisamment patiente, résistante et dans laquelle il peut se reconnaître afin de construire un objet interne stable, sécurisant et intemporel (construction de l’objet permanent d’après Winnicott). C’est à partir de cette construction qu’il va pouvoir supplanter son comportement répétitif et inadapté et intégrer son Soi, « vrai self ». De manière plus explicite, nous envisageons l’idée que si les retours issus du contexte ne sont pas valorisants pour l’enfant TDA, ils risquent d’atteindre son estime de soi de base et l’inhiber, voire l’empêcher d’orienter ses actions vers des fins constructives. C’est l’une des raisons qui peuvent expliquer le registre occupationnel notamment de ses actions. Toujours en nous inspirant de la pensée de D. Winnicott, C’est dans l’échange avec autrui que l’enfant va pouvoir développer sa capacité de sollicitude, autrement dit qu’il va chercher à plaire à l’autre et intégrer les valeurs socialement et moralement acceptables qui sont véhiculées dans son environnement.

Ainsi, la possibilité de rencontrer une personne qui soit patiente et qui ne le rejette pas mais qui au contraire soit présente pour l’accompagner dans l’organisation sémantique de ses expériences favorise le développement de sa capacité de sollicitude, de se mettre à la place de l’autre, d’anticiper la réaction de l’autre, précisément parce que la symbolisation a permis de donner du sens aux représentations imagées non élaborées mais seulement ressenties jusqu’alors. Nous rejoignons la conception de R. Barkley qui s’appuie sur la pensée Vygotskienne lorqu’il avance l’idée que le langage intérieur (pensée verbale) est un outil qui permet au fonctionnement psycho cognitif d’atteindre un niveau supérieur dans les échanges à la fois interpersonnels et intrapersonnel.

Enfin, dans le souci d’éviter toute stigmatisation de l’enfant TDA, nous nous interressons à l’instar de L. Vygotski et de H. Wallon (Clot, 1999) à l’identification des facteurs susceptibles d’empêcher cet enfant de mal évoluer (voir chapitre 3). Penser en terme de dysfonctionnement comportemental permet d’une part, d’ajuster les traitements et les techniques éducatives aux variations intra et interindividuelles concernant les fonctions psychiques (attention, perception et mémoire) des sujets avec TDA et d’autre part, de penser des dépistages et interventions précoces.