Deuxième objet : les modes de structuration du social

Le deuxième objet de cette recherche a été construit à partir d'un constat très général sur les sociétés contemporaines. Celles-ci sont marquées par une diversification accrue des groupes sociaux, avec l'apparition de nouveaux métiers et de nouvelles formes d'emploi mais aussi à travers la pluralité des comportements individuels. Norbert Elias parle à ce sujet du haut degré de différenciation des sociétés contemporaines. Il est alors difficile d'identifier et de comprendre le système de classification 72 . On se situe ici dans le prolongement des débats historiographiques qui ont conduit à la remise en cause des catégories sociales traditionnelles. Dans les années soixante, la recherche de critères de classification uniformes a abouti à une impasse. L'usage incontrôlé de catégories socioprofessionnelles est désormais proscrit. La seule question des hiérarchies professionnelles pose des problèmes quasi infinis si on l'aborde en terme absolu sans tenir compte des usages et des modes de réception des différents critères de différenciation. Ces hiérarchies ne peuvent être définies une fois pour toutes. Il n'existe pas une mais des hiérarchies qui peuvent être parfois contradictoires en fonction des situations et des lieux où elles sont revendiquées. Par exemple, la hiérarchie des emplois ne correspond pas aux hiérarchies des salaires. La pénibilité ou l'exposition à la saleté entrent en jeu et contribuent aussi à créer des distinctions 73 .

Mais la cohésion des sociétés n'est pas uniquement une affaire de hiérarchie professionnelle. D'autres modes de perception des stratifications et des structures sociales peuvent été élaborés. Une des manières de repenser la question des catégories sociales est de chercher à repérer les« structures sociales sous-jacentes" à partir des« univers relationnels" 74 . Il s'agit« d'imprégner" les catégories des rapports sociaux 75 . La délimitation des groupes suit donc les lignes de force dessinées par les relations effectives entre les individus. Selon cette démarche, les structures sociales sont définies comme un ensemble d'éléments liés les uns aux autres par des relations qui peuvent être fort diverses 76 . Les réseaux sociaux peuvent être le produit des modes de contact entre professions, classes d'âge, sédentaires et migrants etc. De part leurs natures, ils structurent le social selon des modes foncièrement instables, discontinus et inégalitaires 77 .

Notes
72.

Eduardo Grendi, «Nobert Elias: stroriografia e teoria social", Quaderni Strorici, nº50, 1982, pp. 728-739.

73.

N. Elias et J. L. Scotson, Logiques de l'exclusion…, op. cit., p. 133.

74.

Eduardo Grendi, «Micro-analisi e storia sociale", Quaderni Storici, nº35, 1977, pp. 506-520.

75.

On trouvera un riche commentaire et une mise en pratique de cette démarche dans : Simona Cerutti, «Processus et expérience : individus, groupes et identités à Turin au XVIIe siècle" dans Jeux d'échelles…, op.cit., pp. 161-186.

76.

Alain Degenne, Michel Forsé, Les réseaux sociaux, Paris, Armand Colin, 1994, pp. 6-7.

77.

M. Gribaudi, «Les discontinuités du social. Un modèle configurationnel", dans Bernard Lepetit (dir.), Les formes de l'expérience..., op. cit, pp. 187-225.