Conclusion première partie :
Du quartier ouvrier au quartier populaire…

Alcântara est un espace bien identifié dans le Lisbonne du début du XXe siècle. À la fois unité administrative et espace fortement organisé autour de la production industrielle, Alcântara s'est construit durant la seconde moitié du XIXe siècle, par opposition avec le reste de la ville. Cette opposition n'est cependant pas tranchée et elle sera de courte durée. La particularité de l'Alcântara industriel est peut-être liée au fait que se concentrent dans cette zone, à la fin du XIXe siècle, quelques-unes des entreprises les plus importantes du pays, non seulement du point de vue de leurs effectifs et de leur production mais aussi de leur capacité d'innovation et d'adaptation aux procédés modernes.

Au début du XXe siècle, la population d'Alcântara est donc à dominante ouvrière. Mais il ne s'agit pas pour autant d'un espace ouvrier dans le sens où l'entend par exemple Michel Verret : une« matrice urbaine spécifique" mais qui intègre rarement« les valeurs de l'urbanité classique" 323 . Le chapitre sur les références identitaires associées à Alcântara a permis de corriger nos informations sur ce quartier. Les enquêtes industrielles ou les données statistiques disponibles ne permettent pas de percevoir la pluralité du peuplement d'Alcântara. Ces sources nous obligent à nous focaliser sur l'extrême fin du XIXe siècle, en négligeant les évolutions ultérieures. Or ces évolutions ont vraisemblablement été rapides. Durant la première moitié du XXe siècle, cet espace social se diversifie. Tout en gardant une forte composante industrielle ou ouvrière, les références identitaires d'Alcântara se complexifient et intègrent la présence d'une population composite dans le quotidien du quartier. L'image d'Alcântara est parcourue de références au travail industriel ou même à une culture ou à une manière d'être plus spécifiquement ouvrières, sans pour autant faire émerger un sentiment d'appartenance à une classe : l'identité d'Alcântara se décline, pour une part, à travers sa dimension ouvrière mais va rarement jusqu'à puiser dans des références ouvriéristes.

Le choix d'un champ chronologique resserré autour des quatre premières décennies du XXe siècle permet de ne pas dissocier les deux composantes du milieu social d'Alcântara : la composante urbaine, que nous désignons ici par populaire, et la composante industrielle et ouvrière. Nous travaillons sur l'époque où ce milieu se structure pleinement autour de cette dualité. Avant cette époque, Alcântara tient davantage du faubourg industriel, replié sur lui-même, où s'entassent les travailleurs des grandes fabriques textiles ou métallurgiques des environs. Après, il devient un quartier urbain qui entame une longue phase de déclin sous le coup de la désindustrialisation. Bien sûr il existe forcément une part de subjectivité dans ces choix qui reposent davantage sur une analyse des représentations nées de constructions statistiques, administratives, iconographiques ou littéraires, que sur une étude précise des modes de peuplement du quartier. Avant 1900, Alcântara n'était probablement pas le ghetto ouvrier décrit parfois. Il possédait déjà ses commerçants, ses employés, ses petits patrons et ses poches de richesse ou d'aisance relatives. De même, parler de désindustrialisation dès 1940, ne signifie pas qu'à partir de cette date va disparaître brutalement toute forme d'activité industrielle. Jusqu'aux années 1970, Alcântara abrite un nombre important d'usines et d'ateliers qui contribuent encore à la vie économique locale. La période étudiée nous est cependant apparue comme le moment où la confrontation et le mélange entre les différents milieux sociaux sont les plus intenses.

Notes
323.

M. Verret, L'espace ouvrier, Paris, L'Harmattan, 1995 (1ère édition 1979), p. 119