Deuxième partie :
Les relations interpersonnelles dans deux rues d'Alcântara :
la Rua da Cruz et la Rua Feliciano de Sousa

Le dialogue continu entre l'histoire et les autres sciences sociales rend désormais très aléatoire la définition d'un champ de recherche autonome pour chaque discipline. En fonction des questions rencontrées sur le terrain, les historiens ont pris l'habitude de s'approprier des outils conceptuels et méthodologiques d'origines très diverses. Les études de quartier ou des espaces de relations ou d'interactions à l'échelle micro-locale ne reposent pas sur une conception rigide des prérogatives de chaque discipline scientifique. Cependant les échanges n'ont pas entièrement effacé les héritages et les traditions. La matière de l'historien, ce sont les évolutions, les mutations, le temps, plus que les structures. L'étude de relations ou de liens interindividuels n'est pas encore un exercice très courant en histoire. Les techniques et les méthodes de recherche se chargent aussi de faire perdurer les distinctions. Les questionnaires ou les entretiens du sociologue, l'observation participante de l'anthropologue, la confrontation avec des textes ou des documents chez l'historien, constituent sans doute des regards complémentaires. Mais ces techniques contribuent aussi à préserver un langage et des approches spécifiques. La première question que nous souhaitons poser dans cette deuxième partie, c'est celle de l'apport et de l'intérêt des techniques de l'historien dans l'étude des relations interindividuelles au sein d'un groupe d'habitants d'un quartier. Est-il possible, à partir d'une documentation comme les registres de l'état civil, de reconstituer des réseaux de relations ? Sinon, quelles sont les pratiques sociales qui sont mises à jour dans ces documents ? Le prochain chapitre ne doit toutefois pas être abordé comme une longue parenthèse méthodologique dans le cours de notre exposé. La réalisation de notre projet de recherche passe par l'élaboration d'une méthode qui détourne l'usage qui est fait traditionnellement d'une source banale. Mais en apprenant à lire ces documents, on repère aussi de nouveaux objets et de nouvelles manières d'aborder l'analyse des relations entre individus et entre groupes sociaux à Alcântara. Le renouvellement des perspectives en histoire sociale conduit à un changement dans les méthodes d'observation : l'analyse des ordonnancements des statistiques agrégatives a été substituée par le suivi des comportements individuels ou familiaux. Mais pour parvenir à des conclusions fondées, il ne suffit pas d'accumuler des exemples nominatifs. Il faut aussi apprendre à observer scientifiquement 324 . L'exposé de la méthode n'est donc pas seulement un simple préalable à la recherche. Il en est une partie constituante.

Notes
324.

Jacques Dupâquier, «Pour une autre histoire sociale", dans J. Dupâquier et D. Kessler (dir.), La société française au XIX e siècle, Paris, Fayard, 1992, p. 10.