Chapitre 3. Les choix
L'usage d'une source pauvre

Si l'on souhaite étudier la population d'une ville du Portugal au début du XXe siècle à travers un repérage nominatif des situations et des parcours, le recours à l'état civil s'impose, étant donné l'absence d'autres sources nominatives homogènes. Ce choix est fait a posteriori, après élimination d'autres types de documents qui peuvent être valables pour d'autres époques (les XVIIIe et XIXe siècles notamment) ou pour d'autres milieux (le monde rural par exemple).

Les listes électorales nous ont semblé peu adaptées pour l'étude de la population d'un quartier populaire de Lisbonne au début du XXe siècle. Les pratiques électorales et le degré de pénétration du vote à l'intérieur de la société portugaise ne donnent pas les garanties nécessaires à une étude microsociale 325 . Pour l'époque qui nous intéresse, certaines sources perdent en qualité et en niveau de représentativité de la société portugaise, en particulier de sa composante urbaine. Au début du XIXe siècle, les róis de confessados – recensements effectués par l'Église – donnent encore une image fidèle, bien que très imparfaite, de la population lisboète. Il est en revanche difficile de se fier à ce type de données pour les années 1900-1940 326 .

Le titre de ce chapitre fait référence à un texte de Daniel Milo où est préconisé l'appauvrissement des sources 327 . Les données brutes contenues dans les actes de l'état civil sont de nature démographique. Elles visent essentiellement à répertorier et à comptabiliser des naissances, des mariages et des décès. Mais elles permettent aussi d'établir des relations entre des individus. Seul un cadre expérimental précis peut cependant garantir la validité de la lecture et de l'interprétation des informations. L'usage de l'état civil comme source historique pour l'étude de la population d'un espace urbain se heurte à des contraintes : une source unique mais pas uniforme, une documentation vaste, une grande densité de population. Des coupes dans l'espace et dans le temps sont souvent nécessaires. Nous avons ainsi assez vite pris le parti de limiter notre terrain d'étude à un espace restreint à l'intérieur du quartier. Ces choix d'échelle et de mode d'observation présupposent une certaine orientation de la recherche. Ils doivent donc être contrôlés.

Nous avons accordé une attention particulière à l'origine et à la sélection des informations. Nous avons voulu évaluer au préalable la qualité et l'homogénéité des données, les possibilités de contrôle, et l'adéquation entre ces informations et les questions que nous voulions traiter. Dans les paragraphes qui suivent, nous souhaitons, à partir d'une analyse des conditions de production de cette source, énoncer les critères précis qui ont orienté notre démarche et qui ont permis de délimiter notre champ d'étude. La plupart des choix ont été effectués au fur et à mesure que nous découvrions le terrain. C'est ce parcours que nous voulons retracer ici 328 .

Notes
325.

On se heurte aussi aux conditions de conservation des documents. Après une rapide recherche aux archives municipales de Lisbonne, nous avons retrouvé seulement les listes électorales du quartier d'Alcântara des années 1900 à 1908 et de l'année 1925. En 1900, la paroisse d'Alcântara compte 1 312 électeurs inscrits, 2 130 en 1908 et 3 832 en 1925. Pour une tentative d'exploitation de ces listes avec l'étude d'une circonscription électorale de Porto, à une époque où le droit de vote était relativement élargi : Maria Antonieta Cruz, «Os eleitores de Rodrigues de Freitas em 1871 e 1878", dans António Almodovar, Jorges Fernandes Alves, Maria do Pilar Gracia (dir.), Rodrigues de Freitas : a obra e os contextos, Porto, CLC-FLUP, 1997, pp. 173-188. Il est intéressant de noter que cet article annonce dans son titre les limites de l'exercice : il s'agit d'étudier les électeurs d'un homme politique célèbre de Porto et non la population d'un espace donné.

326.

Teresa Rodrigues a pu souligner les multiples difficultés posées par l'utilisation des róis de confessados. Les données sont parfois de très mauvaise qualité. Teresa Rodrigues, «A estrutura familiar urbana nos inícios do século XIX : a freguesia de Santiago em Lisboa", Ler História, nº38, 2000, pp. 29-53.

327.

Daniel Milo, «Pour une histoire expérimentale ou le gai savoir", dans Daniel S. Milo et Alain Bourreau, Alter Histoire. Essais d'histoire expérimentale, Paris, Les Belles Lettres, 1991, p. 46.

328.

La ville de Lisbonne est divisée en différents bureaux de l'état civil nommés Conservatórias de Registo Civil. Ces bureaux recueillent les déclarations - les directeurs de ces Conservatórias célèbrent les mariages - et conservent les différents registres durant au moins cent ans. La paroisse d'Alcântara appartient au 4e Conservatória. La consultation des registres anciens est soumise à autorisation de l'administration centrale. Notre travail a été grandement facilité par l'aide du personnel du 4e Conservatória et en particulier de la directrice Mme Maria Helena Frutuoso das Neves Menezes Galvão. Nous tenons ici à les remercier.