Réglementer et organiser l'état civil

La laïcisation relativement tardive de l'état civil s'explique donc en partie par les difficultés rencontrées par l'État pour mobiliser les moyens nécessaires à l'organisation, dans tout le pays, d'un nouveau service administratif. Les hésitations concernant le statut de l'état civil portugais n'ont pas empêché de solides avancées sur le plan du cadre légal et réglementaire. Jusqu'à la moitié du XIXe, les registres paroissiaux étaient organisés selon les dispositions du droit canon – Concile de Trente de 1563, Rituel romain de Paul VI – et des différentes constitutions diocésaines 359 . En 1859, le fonctionnement des registres paroissiaux est uniformisé dans tout le pays. Le décret du 19 août 1859 impose des formulaires qui doivent dorénavant servir de modèles lors de la rédaction des différents actes. Les registres paroissiaux sont finalement dotés d'un Règlement général, publié par décret le 2 avril 1862 360 . À la fin du XIXe siècle, les registres paroissiaux sont tenus selon des règles précises qui laissent peu de place aux pratiques improvisées en fonction des habitudes du prêtre de la paroisse ou de l'individu qui le représente lors de la rédaction des actes 361 . Les registres paroissiaux constituent donc, au moins pour la période qui nous intéresse et au même titre que les registres d'état civil, une source homogène. Après 1911, la tenue des registres d'état civil est aussi uniformisée suivant l'application d'un code précis. Comme nous le verrons par la suite, de nombreuses dispositions antérieures sont reprises 362 .

Évidemment, nous ne tenons pas compte ici des aléas liés au comportement de la population – l'absence de déclaration –, à l'archivage et à l'état de conservation des documents 363 . Mais la qualité des registres paroissiaux ou de l'état civil dépend aussi de la compétence et de l'application des individus chargés de leur rédaction. Il s'agit là sans doute du principal facteur de dévalorisation des informations disponibles. Au-delà de l'application stricte du règlement, il est difficile d'évaluer la rigueur ou la simple bonne foi des rédacteurs, cela quelle que soit l'époque considérée, avant ou après 1911. Le faible niveau d'alphabétisation général de la population limitait sans doute la portée des vérifications directes des usagers confrontés à des déclarations écrites. Ainsi, récemment, les médias portugais se sont fait l'écho de la situation d'un village de l'Alentejo où la plupart des individus nés dans les années 1920 sont officiellement fils ou filles de mère inconnue. À cette époque, un employé de l'état civil peu consciencieux, avait pris l'habitude de ne pas enregistrer l'identité des mères pourtant connues de tous dans cette petite communauté villageoise. Cette simple négligence entraîne de graves complications au moment de la transmission des patrimoines. En travaillant sur un ensemble de registres rédigés dans le même bureau d'état civil, on peut espérer être en mesure de repérer facilement ce type d'errements.

Ces premières indications nous confortent dans l'idée que l'utilisation conjointe et à une échelle réduite des registres paroissiaux et des registres d'état civil peut être envisagée sans craindre d'introduire un biais dans les résultats. L'historique de l'état civil portugais, ici rapidement retracé, permet cependant de souligner la singularité des années 1911 et 1912, années de transition. Durant cette période, les documents ont été élaborés dans un contexte bien particulier qui a pu entraîner une modification passagère des habitudes et des comportements. En 1911 et 1912, le bureau de l'état civil dont dépend la freguesia d'Alcântara a reçu un nombre inhabituel de déclarations de naissances. Les années suivantes, la situation redevient normale. Au lendemain de la proclamation de la République, certaines familles ont vraisemblablement enregistré à l'état civil laïque des enfants qui avaient été auparavant baptisés.

Notes
359.

Nuno Daupiás d'Alcochete, «Registo paroquial", Dicionário da História de Portugal, vol. III, p. 258.

360.

M. L. Coelho da Silva, Regulamento do Registo Paroquial anotado, Porto, 1888, 98 p.

361.

Abstraction faite des problèmes liés à l'interprétation et à l'application concrète du règlement, comme le souligne M. L. Coelho da Silva, ibid., p. 6. Certains de ces problèmes seront évoqués par la suite.

362.

Pour la période étudiée, on s'est référé surtout au Code de 1932 : Código do Registo Civil (Decreto nº22.018, de 22 de Dezembro de 1932), Coimbra, Coimbra Editora Lda, 1933.

363.

Pour Lisbonne, selon Teresa Rodrigues, les registres paroissiaux du XIXe siècle présentent une bonne cohérence globale, malgré quelques manques en ce qui concerne les quartiers populaires. Teresa Rodrigues, Lisboa no século XIX..., op. cit.