L'exclusion des actes de décès et de mariage

Les actes de naissance ou de baptême, de mariage et de décès n'ont pas la même valeur en tant que source historique. Il existe tout d'abord des différences au niveau de la densité de l'information. Sur ce point, dans la perspective d'une étude des relations et des comportements sociaux, et non d'une étude purement démographique, les actes de décès sont les plus pauvres. Ils contiennent seulement des renseignements sur le défunt – domicile, âge et lieu de naissance, cause du décès, éventuellement profession et état civil – et sur son conjoint, s'il s'agit d'un individu marié 364 . S'il s'agit du décès d'un enfant en bas âge, le nom, la profession et l'état civil des parents sont aussi mentionnés. Par souci d'une certaine productivité, nous avons choisi d'exclure les actes de décès de nos sources.

L'exclusion des actes de décès s'explique par l'inadéquation entre les informations contenues dans ces documents et nos objectifs. En ce qui concerne les actes de mariage, ce sont les modes de production des informations qui ont attiré notre attention. Les actes de mariage sont des documents relativement riches. Ils donnent des informations sur les époux (nom, profession, état civil, âge et lieu de naissance, domicile) et sur leurs parents (nom, profession, domicile et lieu de naissance). Si l'un des parents des époux est décédé au moment du mariage, l'acte comporte seulement la mention« décédé". Les témoins du mariage (en général, deux témoins par époux) sont aussi identifiés par leurs noms, leurs professions, et leurs domiciles. Ces documents permettent donc d'établir des relations entre de nombreux individus. Ils semblent particulièrement adaptés à l'étude des populations et des liens sociaux 365 . Mais le mariage, notamment dans les milieux populaires, est un acte qui renvoie à des pratiques spécifiques. L'étude de la population d'un espace urbain restreint, à partir des seuls actes de mariage, pourrait conduire à l'introduction de biais difficilement maîtrisables. Il s'agirait tout d'abord d'étudier les seuls habitants d'Alcântara dont le mariage est enregistré dans le bureau de l'état civil dont dépend la paroisse d'Alcântara. Dans le cadre d'une recherche individuelle, nous ne pouvons envisager de recouper les actes issus des différents services de l'état civil de Lisbonne, voire de l'ensemble de l'état civil portugais 366 . Par définition, nous ne pourrions ensuite recueillir des informations que sur les couples mariés. Or, Graça Índias Cordeiro, parmi d'autres, souligne l'importance de la pratique du concubinage et des unions« illégitimes" dans les milieux populaires 367 .

Ce qui pose problème, ce n'est pas le fait que les actes de mariage ne concernent qu'une partie de la population, mais c'est la possible existence d'une logique cachée dans cette sélection. Baser une étude à une échelle réduite sur une documentation, sans suffisamment maîtriser les conditions d'élaboration des informations, peut entraîner de sérieuses distorsions dans la reconstitution des phénomènes sociaux. Les mariages ne sont pas forcément célébrés dans le lieu de résidence des époux. Les comportements peuvent aussi être différenciés suivant les appartenances sociales. Nous faisons ici allusion en particulier à la tradition plus ou moins respectée du mariage dans la région, dans la ville ou dans le quartier d'origine de la future épouse. Ainsi comment interpréter le cas rencontré au cours de notre recherche d'un homme et d'une femme qui ont un premier enfant en 1901 sans être mariés, puis déclarent un autre enfant en 1910, après s'être mariés dans le quartier de Santos d'où ni l'un ni l'autre sont originaires, sachant qu'entre 1901 et 1910 leur domicile dans le quartier d'Alcântara n'a pas changé ? Que pouvons-nous en conclure ? Le couple a quitté le quartier d'Alcântara pendant quelques temps ? Ils se sont mariés pour une raison inconnue dans le quartier de Santos tout en continuant à habiter le quartier d'Alcântara ? Les exemples comme celui-ci sont nombreux. Il s'agit là de questions complexes qui pourraient faire l'objet, à elles seules, d'une vaste étude. Pris isolément, les actes de mariage de l'état civil ne permettent pas d'éclairer et de comprendre ces pratiques 368 .

Nous avons donc limité la collecte de nos informations aux actes de naissance et de baptême. Nous espérons ainsi élaborer une méthodologie plus en phase avec nos objectifs. Au cours de la recherche, nous pourrons cependant réintroduire, sous contrôle, certaines informations issues des actes de décès ou de mariage 369 .

Notes
364.

Les informations contenues dans les registres paroissiaux et dans les registres d'état civil sont identiques.

365.

Voir en particulier les remarques de Jacques Dupâquier et de Denis Kessler, dans La société française au XIXème siècle, op. cit. , chap. 1, pp23-61.

366.

Pour cela, il faudrait passer en revue l'ensemble des registres de la période concernée afin de repérer les mariages des individus domiciliés dans le secteur étudié. Les tables annuelles des mariages sont organisées selon l'ordre alphabétique des prénoms des époux. Elles ne comportent aucune indication sur la résidence.

367.

Graça Índias Cordeiro, Um bairro no..., op. cit., p. 133.

368.

En voulant étudier la mobilité géographique de la population française au XIXe siècle, à partir des données issues de l'enquête TRA et en saisissant les individus au moment de leur mariage, Didier Blanchet et Denis Kessler ont envisagé plusieurs sortes de biais, en particulier le lien possible entre nuptialité et mobilité qui peut se traduire par une surnuptialité des mobiles ou par une surmobilité des individus mariés. Dans le cas de l'enquête des 3 000 familles, la question de la définition spatiale de l'étude ne se pose pas avec la même acuité. Didier Blanchet et Denis Kessler, «La mobilité géographique de la naissance au mariage", dans La société française au XIX e siècle, op. cit., pp. 349-353.

369.

Quelques éléments de réflexion sur le mariage peuvent être trouvés dans : «Le mariage, règles et pratiques", Annales de démographie historique, 1998. L. Henry a fait un choix inverse au nôtre. Pour étudier la fécondité de la population, il ne comptabilisait pas les couples dont la présence n'était attestée seulement par un acte de naissance. Il voulait éviter ainsi de sélectionner involontairement les seules familles fécondes. Le choix des sources dépend des objectifs fixés. cf. J. Dupâquier et D. Kessler, La société…, op. cit., p. 26.