Quartier et liens de conterraneidade

Chez les individus nés en dehors de Lisbonne, le choix d'un conjoint né dans le même concelho ne s'impose pas comme une norme. Lorsque les deux partenaires sont nés hors de Lisbonne, il s'agit assez souvent de personnes nées dans le même concelho, voire la même paroisse. Cela arrive même dans la majorité des cas Rua Feliciano de Sousa dans les années 1930. Cependant, les cas d'alliance entre personnes nées dans le même concelho – en dehors de Lisbonne – restent toujours largement minoritaires par rapport à l'ensemble de la population des deux rues. Les liens de type matrimonial qui recoupent des liens entre individus originaires de la même région – en portugais, la même terra et on parle alors de liens de conterraneidade – font donc figure d'exception.

Tableau 4.12. : Lieu de naissance du père quand la mère est née en dehors du concelho de Lisbonne, dans la région de la Beira intérieure ou ailleurs au Portugal

A - nés à Lisbonne
B - nés en dehors de Lisbonne mais dans un concelho différent
C - nés dans le même concelho
D - nombre de liens
* Portugal continental et étranger (Espagne)

Tableau 4.13. : Lieu de naissance de la mère quand le père est né en dehors du concelho de Lisbonne, dans la région de la Beira intérieure ou ailleurs au Portugal

A - nés à Lisbonne
B - nés en dehors de Lisbonne mais dans un concelho différent
C - nés dans le même concelho
D - nombre de liens
* Portugal continental et étranger (Espagne)

Le fait d'appartenir à un courant migratoire dominant peut-il entraîner un comportement spécifique dans le choix du partenaire ? Autrement dit, les individus originaires des concelhos de la région de la Beira intérieure sont-ils plus souvent liés à des personnes originaires du même concelho ? Les tableaux 4.12. et 4.13. indiquent le nombre de cas d'endogamie selon le lieu de naissance du père ou de la mère. Les effectifs ont été ramenés en base 100, mais il est évident qu'étant donné la taille réduite de notre échantillon certains pourcentages perdent de leur signification.

Les pères et les mères nés dans les concelhos de la Beira intérieure ont tendance à se lier plus souvent à un individu né dans le même concelho. Cela est plus vrai pour les mères que pour les pères, dans la Rua da Cruz que dans la Rua Feliciano de Sousa, et au début du siècle que dans les années 1930. En revanche, ce même groupe d'individu se lie moins souvent que le reste de la population à des personnes nées dans le concelho de Lisbonne. Le fait d'appartenir à un courant migratoire dominant fragilise donc la relation à la ville tout en n'assurant pas obligatoirement un lien fort avec la région d'origine. Chez les individus nés dans la Beira intérieure, les sans-liens représentent encore une proportion importante, bien que légèrement inférieure à celle observée parmi les individus nés dans le reste du Portugal. Les mères de la Rua da Cruz bénéficient davantage que les pères du fait d'être nées dans la Beira intérieure. L'intégration à la ville des mères passe assez rarement pas le mariage ou par l'établissement d'une relation avec un lisboète de souche. Pour les femmes, faire partie d'un courant migratoire dominant permet de jouir davantage de l'assurance offerte par les liens communautaires avec la région d'origine.

La relation entre l'appartenance à des courants migratoires dominants et le renforcement des liens communautaires est moins visible dans la Rua Feliciano de Sousa. Surtout l'observation porte dans ce cas sur des effectifs si réduits qu'il est difficile d'en tirer des conclusions solides. Car il faut aussi raisonner en fonction de la taille de la population concernée. Un lien fort avec une région n'a évidemment pas la même signification selon qu'il concerne un nombre limité de couples ou un nombre plus important.

Les listes des concelhos d'origine commune et des distritos auxquels ils appartiennent permettent de préciser ou de relativiser certaines observations (tableaux 4.14. et 4.15.). Les concelhos de la région de la Beira intérieure – en caractères gras dans le tableau – ne sont pas les seuls concernés par la superposition entre liens communautaires et liens de type matrimoniaux, mais ils le sont plus fréquemment. Ce sont quasiment les seuls qui apparaissent comme l'origine commune au père et à la mère de plusieurs couples et donc comme engendrant des «liens forts" entre des individus qui partagent un même parcours entre la province portugaise et Lisbonne.

Tableau 4.14. : Concelhos de naissance communs au père et à la mère, nombre de cas par rue et par période ( concelho de Lisbonne exclu)

(*) Couples dont le père et la mère sont nés dans la même province espagnole

Tableau 4.15. : Distritos des c oncelhos de naissance communs au père et à la mère, nombre de cas par rue et par période ( concelho de Lisbonne exclu)

En élargissant l'observation en dehors de cette région de la Beira intérieure – qui est définie, on le rappelle, uniquement sur la base des premiers résultats –, on constate que les districts de Guarda (concelhos de Celorico da Beira, Fornos de Algodres, Gouveia, Guarda, Seia), et dans une moindre mesure ceux de Castelo Branco (concelhos de Castelo Branco, Covilhã, Fundão, Penamacor) et de Coimbra (concelhos de Coimbra, Penacova, Tábua), concentrent une grande partie des régions qui sont à l'origine de liens communautaires partagés par un nombre significatif de couples. Au début du siècle, le district de Guarda a une importance particulière comme source de sentiments communautaires parmi les habitants de la Rua da Cruz. Entre les années 1900 et les années 1930, l'intensité de ces liens diminue.

Le tableau 4.15. permet aussi de souligner des différences de comportement entre les habitants des deux rues. Ce ne sont pas toujours les mêmes distritos qui regroupent les concelhos de naissance communs aux deux partenaires de certains couples. Dans la Rua Feliciano de Sousa, les liens forts semblent moins exclusivement issus des concelhos de la Beira intérieure : le distrito de Santarém (concelhos de Chamusca, Rio Maior, Santarém) est un bon exemple de la plus grande diversité des origines des liens communautaires chez les habitants de la Rua Feliciano de Sousa.

En résumé, le fait d'appartenir à un courant migratoire dominant peut avoir un double effet lors du choix du partenaire : inciter à privilégier le lien avec la région d'origine et négliger la relation à la ville. Pour les femmes, l'appartenance à un courant migratoire dominant apparaît comme une garantie : les sans-liens sont nettement moins nombreux chez les femmes nées dans les concelhos de la Beira intérieure que chez les femmes nées dans une autre région portugaise. Pour les hommes, le gain est moins important. Mais d'après ce mode d'observation, les hommes et les femmes originaires de la Beira intérieure éprouvent plus de difficultés à tisser des liens avec la ville. Un lien fort avec une région peut donc être un facteur pénalisant dans le processus d'intégration à la ville.