Chapitre 5. Les modes de déclaration

Tout comme la déclaration de la résidence et du lieu de naissance ne donnent qu'une indication partielle de la nature du lien avec un territoire, la déclaration de la profession est loin de nous renseigner totalement sur le statut professionnel des individus. Une fois de plus, c'est à partir de la source et de la nature des données qu'elle nous offre que nous avons construit notre réflexion. Dans les documents que nous analysons, la profession des individus apparaît comme un renseignement secondaire. Les registres paroissiaux puis les actes de l'état civil ont pour unique objectif d'enregistrer des actes civils ou religieux – des naissances ou des baptêmes, des mariages et des décès – en identifiant au mieux les parties en présence. Dans sa conception, ce corpus documentaire a donc une dimension purement démographique. Les professions ne sont mentionnées que parce qu'elles donnent des informations supplémentaires sur l'identité des individus. Elles font partie de l'identité des personnes, au même titre que le nom, la date et le lieu de naissance et l'adresse. De nos jours, l'état civil portugais ne mentionne d'ailleurs plus la profession des parents ou des témoins dans les actes de naissance.

Pour étudier la structure professionnelle d'une population, les historiens se réfèrent généralement à des enquêtes industrielles ou à des données statistiques souvent issues de recensements. Dans ce cas, le chercheur doit se poser la question de la méthode utilisée par les enquêteurs ou par les agents recenseurs : les modes opératoires, les grilles de lecture qui transparaissent dans la présentation des informations brutes, le type de classification adoptée. En travaillant à partir de données des registres de l'état civil, nous pouvons espérer limiter les intermédiaires qui contribuent à dissimuler la réalité des positions sociales. La matière que nous étudions est en effet issue de déclarations spontanées. Le premier réflexe face à cette information est de souligner sa dimension humaine, qui apparaît comme un gage de restitution fidèle des vécus individuels 492 . Cette première impression ne résiste pas à un examen plus approfondi. De nombreux indices signalent l'influence des usages culturels et des pratiques administratives dans la rédaction des déclarations professionnelles. Les mécanismes en jeu sont complexes et multiformes. Ils se déclinent souvent en fonction des types de populations – rurales ou urbaines – des espaces régionaux ou nationaux. Surtout, contrairement aux méthodes des recensements et des enquêtes, ils n'ont pas laissé de trace écrite.

Nous ne sommes pas entièrement en terrain inconnu. Le parcours a déjà été défriché. Nous nous reporterons souvent aux remarques des différents auteurs qui ont utilisé les données de l'enquête des« 3 000 familles" 493 . D'autres travaux seront sollicités, mais aucun ne porte sur le cas particulier du Portugal 494 . L'objectif de ce chapitre est dans un premier temps de faire le point sur la nature des informations dont nous disposons, de mesurer leur valeur et leur validité, et éventuellement d'examiner les possibilités de contrôle. Le chapitre s'ouvre sur la constatation la plus évidente qui résume à elle seule toutes les ambiguïtés de cette source : la quasi-absence d'informations sur les professions des femmes.

Notes
492.

Claude Motte et Jean-Pierre Pélissier, «La binette, l'aiguille et le plumeau. Les mondes du travail féminin", dans La société française au XIX e siècle, op. cit, p. 242.

493.

Et notamment les textes réunis dans : J. Dupâquier et D. Kessler (eds.), La société française, op. cit.

494.

Nous pensons ici en particulier à l'article de Nadine Souchard, «Déclarations des professions et structure sociale : les salariés de l'industrie laitière en Bretagne orientale (1891-1936)", Genèses, nº18, janvier 1995, pp. 97-109. À notre connaissance, les déclarations professionnelles dans l'état civil portugais n'ont pas encore fait l'objet d'une étude approfondie.