c) Des métiers aux formes particulières d'emploi

L'examen rapide de quelques secteurs professionnels permet d'ores et déjà d'entrevoir les limites d'une approche qui consisterait à voir le métier comme unique critère de définition des identités professionnelles dans la société portugaise et plus particulièrement lisboète de la première moitié du XXe siècle. Dans les exemples présentés, le nom d'une profession ou d'un métier dissimule de multiples formes de travail et une grande diversité de conditions sociales. À partir des sources que nous avons pu réunir, il est difficile d'aller plus avant. Nous avons en effet jusqu'ici systématiquement enquêté autour de professions et il faudrait maintenant prendre pour objet d'étude des secteurs d'emploi bien délimités ou, mieux encore, une entreprise.

C'est notamment à travers le recueil publié par l'INE que nous avons mesuré cette diversité des conditions au sein d'une même profession. À chaque fois, nous avons pu identifier des secteurs d'emploi où une profession bénéficiait d'un statut particulier qui était surtout repéré à travers les modes de rémunération. Mais ce document conserve une autre trace qui atteste l'existence de statuts sociaux indépendants d'un métier ou d'une identité professionnelle précise. En fin de volume est regroupé le « personnel divers". Sont classés dans cette catégorie tous les individus« dont l'occupation n'avait pas de désignation professionnelle définie" 661 . Il s'agit donc d'emplois qui ne correspondent pas à une dénomination professionnelle précise. Deux secteurs industriels sont particulièrement concernés : l'industrie textile – filature, tissage, passementerie, broderie, tapisserie et chapellerie –, depuis longtemps l'une des branches les plus mécanisées au Portugal, et l'industrie de la métallurgie. Dans ce dernier cas, les salariés se classent selon un ordre bien défini et constant entre les différentes entreprises : apprentis (parfois pré-apprentis), ouvriers non spécialisés (oficiais não especializados), ouvriers spécialisés (oficiais especializados) de 2e et de 1ère classe. Cette hiérarchie, nous l'avons déjà signalé, peut correspondre aux anciennes catégories d'ouvriers de métier, d'aides et d'apprentis. Mais ici elle n'est pas associée à une profession précise. Elle doit sans doute être interprétée comme la conséquence d'un double mouvement de déqualification des emplois et de rationalisation des statuts. À partir de ce simple document, il est difficile de parvenir à des conclusions solides. Il faut cependant insister sur la précarité des conditions : les salaires sont bas – de 5 à 10$ – et sont fixés à la journée.

Dans la catégorie de« personnel divers" du recueil de l'INE, un autre secteur d'activité est représenté. Il faut toutefois en tirer un tout autre enseignement. Les entreprises de transport –« chemin de fer" et« transports urbains par voie ferrée" – se distinguent par une organisation particulièrement complexe. Les emplois mentionnés se divisent en deux grands groupes : supérieurs – avec les emplois de secrétaire, chef de service et sous-chef de service – et de service. Ce dernier groupe comporte plusieurs catégories :

Ces différents emplois s'ordonnent suivant une hiérarchie rigoureuse. Celle-ci peut être lue à travers l'échelle des salaires mais aussi dans les formes de rémunération. On note une opposition entre ceux qui bénéficient d'un salaire à la journée – tous les emplois de la catégorie« indifférenciés" – et ceux pour qui est fixé un salaire mensuel. Néanmoins, quels que soient les niveaux ou les formes de rémunération, il est souvent prévu des échelons ou une échelle des revenus en fonction de l'ancienneté. Pour en savoir plus, il faudrait directement enquêter sur l'organisation de chaque entreprise. À l'exception du secteur des chemins de fer, nous ne connaissons pas le nom des établissements où sont appliqués ces accords 662 . Toutefois, la présence massive dans le répertoire de l'INE du secteur des« transports urbains" nous incite à nous intéresser au cas particulier de la compagnie Carris de Lisbonne.

Notes
661.

Ibid., p. XI. Sont aussi parfois classés dans cette catégorie certains salariés dont la rémunération n'a été connue qu'une fois achevée la composition de la section de l'ouvrage où ils devraient normalement figurer. Nous ne tenons pas compte de cette classification accidentelle.

662.

Dans le secteur des chemins de fer, pour chaque accord, est précisé le nom du réseau concerné : réseau de la Beira Alta, réseau de la Companhia Nacional de Caminhos de Ferro, réseau de la Companhia dos Caminhos de Ferro Portugueses, réseau de la région nord, réseau de la Sociedade Estoril, réseau du Vale de Vouga.