La relation entre les parents et les parrains des enfants baptisés ou déclarés a déjà été examinée comme indice du rôle des lignées familiales dans le peuplement des deux rues étudiées 689 . Nous connaissons donc déjà la dimension familiale de cette relation. Nous nous contentons ici de rappeler les principaux résultats.
Les liens familiaux sont plus fréquents dans les années 1930 qu'au début du siècle. Les résultats observés au niveau des deux rues sont concordants. Environ 20% de liens de type familial pour la première période et un tiers entre 1930 et 1939. Le parrain est plus souvent issu de la lignée paternelle et la marraine de la lignée maternelle. Les résultats sont moins probants sur ce dernier point. De même, il semble possible d'envisager l'idée d'une mobilisation plus fréquente de la parenté éloignée pour les femmes – proportion des liens familiaux déterminés sur une base patronymique – et de la parenté proche pour les hommes – fratrie, grands-parents paternels –. Mais les résultats doivent également être lus en tenant compte de la méthode d'observation utilisée. Le mode de reconstitution des liens familiaux à partir du patronyme tend en effet à sous-évaluer l'apport de la lignée maternelle 690 .
Ce qui est important de retenir, c'est que la parenté ne suffit pas à décrire la nature des liens père/mère/parrain/marraine. Même si nous considérons la relation à l'échelle des deux couples, nous parvenons au mieux, à expliquer la moitié des choix des parents. Par ailleurs, il faut noter que le lien de parenté est presque toujours associé à une forte proximité résidentielle, une remarque qui vaut évidemment uniquement pour les années 1930 (tableau 7.2.). La corésidence ou le voisinage immédiat – même domicile ou même adresse – correspond à près d'un tiers des statuts résidentiels de cette catégorie spécifique de parrains, une proportion nettement supérieure à celle observée dans l'ensemble des liens père/parrain. Le partage du domicile est davantage pratiqué Rua da Cruz que Rua Feliciano de Sousa. Il s'agit là de l'un des rares facteurs de différenciation entre les deux rues. Les habitants de la Rua Feliciano de Sousa ont tendance à faire appel à des membres de leur famille avec qui ils partagent un environnement résidentiel immédiat mais pas forcément le domicile, c'est-à-dire à des « voisins de palier" qui ont la même adresse.
Cependant, le lien de parenté peut aussi parfois se combiner avec un certain éloignement résidentiel. Un quart des parrains qui résident à l'extérieur de la capitale possèdent un lien de parenté avec l'un des parents. Sont domiciliés en dehors des limites de la commune de Lisbonne 5 parrains : 4 pour la Rua da Cruz et 1 seul pour la Rua Feliciano de Sousa 691 . La zone géographique où habitent ces individus reste bien circonscrite et elle n'est pas spécifique à cette catégorie de parrain. Elle correspond toujours à la périphérie immédiate de Lisbonne (Algés, Cruz Quebrada) ou aux villes de la rive sud du Tage qui se transforment peu à peu, à cette époque, en banlieue industrielle de la capitale (Seixal, Moita, Barreiro).
La logique du choix du parrain n'est cependant pas exactement la même dans les deux cas. Les parrains de la périphérie de Lisbonne sont choisis par des familles originaires du centre du pays, les régions de Viseu et de Castelo Branco. Le parrainage d'un enfant semble donc être ici l'occasion de resserrer les liens à l'intérieur d'une même lignée familiale – paternelle dans les deux cas –, dont les membres auraient suivi le même parcours entre la province et la capitale, certains s'étant fixés en proche banlieue, probablement pour des raisons professionnelles. Le parrain domicilié à Algés est douanier.
En revanche, les parrains de la rive sud du Tage – un oncle paternel et deux membres de la lignée familiale paternelle – habitent la commune de naissance du père de l'enfant. Le déménagement à Lisbonne n'est pas un motif de rupture avec le réseau familial de la région d'origine. Lieux de naissance et lieux de résidence à l'age adulte sont ici relativement proches. C'est par ailleurs toujours dans le même univers professionnel que les liens père/parrain coïncident avec des distances résidentielles les plus importantes. En effet, pour deux de ces pères qui exercent la profession de marin, la traversée du Tage ne constitue pas un obstacle. Il n'est pas si loin le temps où le français Léon Poinsard, en visite d'étude au Portugal, notait que le prix de la traversée du Tage pouvait suffire à empêcher les visites réciproques au sein d'une même famille 692 .
Voir chapitre 4.
Si le parrain ou la marraine est l’un des grands-parents de l’enfant, l’information est systématiquement notée sur le registre. De toute façon, nous connaissons l’identité des grands-parents indépendamment du fait qu’ils soient ou non parrain ou marraine et nous pouvons donc vérifier l’information. Considérant que la filiation est dans ce cas bien établie, nous pouvons donc repérer tous les cas où le parrain ou la marraine sont aussi grand-père ou grand-mère.
Un parrain, marin de l'Artillerie, est aussi domicilié au siège de sa brigade.
Léon Poinsard, Le Portugal inconnu, Paris, 1910, p. 252.