2. Les liens interprofessionnels : le recours à des catégories

L'introduction de catégories socioprofessionnelles se justifie par la nécessité de synthétiser nos données. Cependant nous ne sommes pas dans une logique de recensement d'une population. Il s'agit d'étudier la structuration des liens entre des individus en fonction de la profession déclarée par chaque acteur de la relation. L'unité d'observation est la relation et non l'individu. Concrètement, cela signifie que dans le cas des déclarations multiples des pères, chaque relation établie avec un parrain est prise en compte. Le filtrage opéré par le processus d'agrégation est double. Il correspond d'abord à une construction préétablie qui vise à privilégier tel ou tel aspect des structures socioéconomiques. Le phénomène a été souvent signalé 727 . Mais dans notre cas, le travail sur des données agrégées présente aussi un autre type de risque. Notre objectif étant de mettre en évidence des liens entre des professions ou entre des groupes professionnels, l'usage de catégories peut masquer la diversité des comportements en faisant apparaître des compatibilités sociales là où il n'y a qu'une série d'attractions ou de répulsions intracatégorielles. Cependant, l'usage de catégories statistiques peut paradoxalement se justifier par les inconvénients de ce procédé. En choisissant des catégories définies selon des principes connus et clairement énoncés, nous pouvons espérer voir en quoi ces dits principes peuvent fournir une clef pour comprendre les modes de structuration des relations sociales dans l'espace étudié. Les tableaux statistiques que nous allons dresser ont pour objectif non pas de coller au plus près à la réalité, mais de saisir des logiques comportementales.

C'est encore par des séries de tests que nous progressons. Deux types de classement ont été retenus : le premier repose sur le secteur d'activité et s'inspire des catégories utilisées dans les recensements portugais du début du XXe siècle ; le deuxième est défini en fonction du niveau et du type de qualification, une voie suggérée par de récents acquis historiographiques. Nous nous inspirons de la démarche suivie par Alain Blum et Maurizio Gribaudi dans un article cité précédemment 728 . Mais contrairement à ces auteurs qui étudient la logique des classements socioprofessionnels, nous nous attachons plus particulièrement aux résultats concrets, en essayant de déterminer quels sont les facteurs qui influencent le plus la structure des relations sociales.

Notes
727.

Depuis les travaux d'Alain Desrosières et de Laurent Thévenot sur l'histoire de la statistique et des catégories socioprofessionnelles, ces questions sont bien connues. À propos des mécanismes qui sous-tendent les opérations de regroupement en catégories et des liens entre données agrées et modèles de stratification, on se reportera au débat ouvert par A. Blum et M. Gribaudi autour des méthodes d'analyse statistique de l'espace social. A. Blum et M. Gribaudi, «Des catégories aux liens individuels : l'analyse statistique de l'espace social", Annales ESC, novembre-décembre 1990, nº6, pp. 1365-1402 ; Alain Guerreau, «À propos d'une liste de fréquences des dénominations professionnelles dans la France du XIXe siècle", Annales ESC, juillet-août, 1993, nº4, pp. 979-986 ; et la réponse des auteurs dans le même numéro de la revue : A. Blum et M. Gribaudi, «Les déclarations professionnelles : pratiques, inscriptions, sources", pp. 987-995. Nous envisageons le problème de la construction des catégories sociales implicitement uniquement à travers la question des nomenclatures professionnelles. Le processus d'agrégation des données individuelles suppose bien d'autres types de conventions, comme l'a montré Christian Topalov, dans «L'individu comme convention. Le cas des statistiques professionnelles du XIXe siècle en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis", Genèses, nº31, juin 1998, pp. 48-75.

728.

A. Blum et M. Gribaudi, «Des catégories…", op. cit.