Des liens atypiques

Jusqu'ici nous nous sommes livrés à une approche quantitative vis-à-vis des configurations. On a cherché à repérer des groupes, des proportions, des régularités statistiques et leurs évolutions respectives entre les deux périodes. Mais la représentation des configurations professionnelles permet aussi d'identifier des comportements atypiques, des échappées dans les réseaux habituels de relations des manœuvres. La question de la signification sociologique de la relation père/parrain se pose toujours : face à un comportement atypique, faut-il conclure au caractère douteux du lien ou s'agit-il d'un signe de l'ouverture du réseau de relations ? Deux outils vont nous aider à progresser : l'étude de cas individuels et l'utilisation des déclarations multiples des pères.

Sur bien des points, les configurations professionnelles autour des manœuvres sont déconcertantes. S'il est facile de distinguer l'influence du niveau de qualification sur l'orientation des choix de compérage, ce facteur est loin d'expliquer tous les liens établis. Dans les années 1930, on le retrouve même manifestement à l'origine de seulement un quart des relations père/parrain. L'étude des liens atypiques, entre un manœuvre et un employé de la fonction publique par exemple, ne va pas uniquement servir à mesurer les limites de notre hypothèse de base concernant le rôle du niveau de qualification dans la définition des positions sociales individuelles. Elle est aussi l'occasion d'introduire d'autres facteurs explicatifs en replaçant, grâce aux déclarations multiples, le lien père/parrain dans un contexte relationnel plus large ou en prenant en compte les parcours familiaux ou individuels. Dans un premier temps, le raisonnement peut consister à chercher des points communs entre les pères, ou entre les couples, qui ont choisi des parrains issus de milieux sociaux a priori distants.

Au début du siècle se dégage un profil relativement précis de couples qui adoptent ce type de comportement. Prenons l'exemple des époux Olivia qui habitent Rua da Cruz au début des années 1900. Le mari et la femme sont tous les deux originaires de Celorico da Beira, une commune du district de Guarda, dans la Haute Beira. Celorico da Beira aurait pu être intégrée à la zone définie comme point de départ fréquent des migrations en direction d'Alcântara. Cette commune se situe à la limite septentrionale de la région de la Beira intérieure, mais elle n'est citée que dix fois comme lieu de naissance des individus de nos différents corpus, et quasiment exclusivement parmi les habitants de la Rua da Cruz au début du siècle 751 . Le couple Olivia se marie à la fin du XIXe siècle à Lisbonne, dans la paroisse d'Alcântara. Cette information est mentionnée sur les trois actes de baptême des enfants du couple. Nos recherches pour retrouver l'acte de mariage se sont cependant avérées infructueuses, probablement en raison de l'état de conservation de certains registres. Entre 1900 et 1904, António et Ana Olivia font baptiser trois enfants. Durant cette période, le couple habite au numéro 65 de la Rua da Cruz. Le père est manœuvre, sa déclaration est identique dans les trois actes. À l'occasion de chaque baptême, le couple choisit trois parrains et trois marraines différents. Il n'existe apparemment aucun lien de parenté entre le couple et les parrains et marraines. En 1900, le choix se porte sur un employé de la CUF et son épouse. En 1902, le parrain est typographe. De la marraine, on connaît seulement le nom et le prénom sans qu'il soit possible d'établir un lien entre elle et un autre individu mentionné dans l'acte. Enfin, en 1903, c'est un ouvrier et son épouse qui sont choisis.

À partir de ces informations, nous pouvons envisager plusieurs pistes de réflexion. Nous devons d'abord noter que les époux Olivia, malgré leur condition modeste, parviennent à tisser des relations assez diversifiées bien que probablement tournées exclusivement vers le monde ouvrier. Le principal trait de distinction de ce couple est le fait qu'il possède un lien fort avec une région d'où sont originaires un nombre significatif d'habitants des deux rues étudiées. Le parcours résidentiel d'António et d'Ana Olivia a suivi un courant migratoire dominant. Accessoirement, sans qu'on sache quelle est l'importance de ce facteur, le couple est marié et le mariage a été célébré dans la paroisse d'Alcântara.

Au début du siècle, dans les deux rues, au moins quatre couples dont les deux partenaires sont originaires de la même commune de la Beira intérieure, font des choix analogues aux époux Olivia au moment du parrainage de leurs enfants. Il semble toutefois qu'un simple lien fort avec la Beira intérieure, et non plus une commune de cette région, suffit à entraîner une diversification des relations. Pour illustrer cette remarque, on peut prendre l'exemple des époux Campos. Francisco Campos est né dans la commune de Celorico da Beira, au nord de Guarda. Son épouse Ana est originaire d'une commune voisine, Penalva do Castelo. Les deux bourgs sont distants d'une trentaine de kilomètres seulement, mais ils appartiennent à deux districts différents : Guarda pour le premier, Viseu pour le second. Nous sommes ici à l'extrême limite nord de la région de la Beira intérieure. À la fin du XIXe siècle, le couple se marie à Lisbonne, dans la paroisse de Santos. En 1900, on retrouve les époux Campos dans la Rua Feliciano de Sousa. Au mois de mai de cette année-là, ils font baptiser un fils. Ils choisissent comme parrain et marraine un couple d'amis avec lequel ils n'entretiennent apparemment aucun lien de parenté. Le parrain est douanier (garde fiscal). Nous perdons ensuite la trace de Francisco et Ana Campos.

Ce couple possède un profil un peu particulier. Le mari et la femme appartiennent à un courant migratoire dominant, mais n'entretiennent pas de lien fort avec une commune (concelho) de province. Leur mariage à Lisbonne pourrait être lui aussi interprété comme le signe d'une relation assez étroite avec la ville. Le mariage semble d'ailleurs faire partie des points communs entre ces couples qui tissent des liens atypiques à l'occasion du parrainage. On pourrait ici engager une autre réflexion car les parcours migratoires individuels et leur combinaison à l'échelle du couple ne peuvent pas être considérés, a priori, comme l'unique facteur de diversification des réseaux de relations. Cependant, il faut se placer dans ce cadre explicatif si on veut discerner une particularité chez les autres couples qui, sans être originaires de la Beira intérieure, se distinguent au moment du choix du parrain de leurs enfants.

Cette deuxième série de cas individuels concerne des couples qui possèdent une relation« féminine" avec la ville, du fait que seule la mère est née à Lisbonne. Nous ne citerons qu'un seul exemple. João Francisco, né à Lourinhã, un petit bourg de l'Estremadura situé à quelques kilomètres de Caldas da Rainha, a épousé à Lisbonne, à une date qui nous est inconnue, Maria José, une lisboète de souche née dans la paroisse de Santos. Le mariage a aussi été célébré à Santos. Étant donné que nous ignorons la date de naissance ou de baptême et le nom de famille de Maria José, il ne nous a pas été possible de retrouver son acte de baptême. L'acte de mariage n'a pas été localisé non plus. Le peu que l'on sait sur le couple est donc mentionné dans l'acte de baptême de leur fille, en 1900. À cette date, Maria José et João Francisco habitent Rua da Cruz. Ils choisissent comme parrain et marraine un employé de la compagnie Carris et sa femme. Il n'existe apparemment pas de lien de parenté entre les parents et le parrain et la marraine.

On signalera un autre indice de la richesse relative du réseau relationnel des époux Francisco : la marraine de leur fille ne déclare aucune profession ou statut professionnel mais elle signe l'acte de baptême, ce qui est assez inhabituel. Il nous faut ici ouvrir une brève parenthèse. La signature a parfois été utilisée comme un critère de discrimination des populations. Par exemple, le lien entre l'aptitude à signer un acte civil et une plus forte propension à la mobilité résidentielle a pu être démontré 752 . À Lisbonne au début du XXe siècle, la capacité à signer est déjà très répandue dans la population et cette simple information, prise isolément, perd une partie de son intérêt. Dans le cadre de notre recherche, nous pouvons néanmoins noter des différences selon les sexes et entre les deux périodes. Dans les années 1900, environ 70% des actes sont signés par les parrains et 35% par les marraines. Dans les années 1930, ces proportions atteignent respectivement les valeurs de 88% et 60%. Les pourcentages sont à chaque fois comparables dans les deux rues. La présence ou l'absence de signature sont cependant des informations difficiles à interpréter. Il y a d'abord de nombreuses situations incohérentes : des parrains douaniers, étudiants ou typographes qui ne signent pas l'acte. Il nous a surtout été impossible de distinguer, avec un minimum de certitude, les cas où l'individu ne signe pas l'acte de ceux où l'individu n'est pas présent au moment de la rédaction du document. En effet, le règlement de l'État civil ne rend obligatoire ni la présence du parrain et de la marraine, ni celle des parents. Pour les registres paroissiaux, les déclarations sont faites devant le parrain et la marraine ou le seul parrain (perante os padrinhos ou o padrinho) et la présence des parents ne fait l'objet d'aucune mesure réglementaire 753 . Une absence de signature peut signifier tout simplement l'absence de l'individu en question au moment de la rédaction de l'acte. Nous avons donc renoncé à exploiter systématiquement cette information. En fait, seule la signature de la marraine sur les actes du début du siècle peut, éventuellement, être interprétée comme une marque inhabituelle de distinction, comme nous venons de le signaler pour le couple Francisco.

Poursuivons maintenant l'analyse des positions relationnelles de couples particuliers. Dans les années 1930, malgré l'apparente stabilité générale des choix individuels, on voit apparaître un nouveau profil de couples qui se distinguent dans leurs options au moment des parrainages. Désormais, c'est aussi l'ancrage dans le quartier d'Alcântara qui semble favoriser une plus grande ouverture du champ relationnel. Le couple Augusto illustre assez bien ce nouveau type de comportement. En mai 1938, Carlos et Maria Augusto déclarent la naissance d'un fils à l'état civil. Le couple habite Rua da Cruz. Tous les deux sont nés dans la paroisse civile d'Alcântara, lui en 1915, elle en 1917. En 1935, ils se marient dans le 4e bureau de l'état civil de Lisbonne dont dépend Alcântara. À cette date, les deux futurs époux résidaient déjà Rua da Cruz. Les parents de Carlos Augusto sont originaires de Viseu. En 1935 le père est décédé et sa mère habite Alcântara, Rua Fabrica da Pólvora, une rue voisine de la Rua da Cruz. Le père de Maria est né à Setúbal, la mère à Lisbonne, dans la paroisse de Santos. Ils résident à Alcântara, Rua da Cruz. Cette famille est sans doute modeste. Lors du mariage de sa fille, le père exerce la profession de manœuvre. Deux témoins assistent au mariage : le premier habite Rua Feliciano de Sousa, il est manœuvre ; le deuxième est un serrurier de la Rua das Fontainhas, une rue qui donne sur la place du Calvário, au cœur de la zone industrielle d'Alcântara. En 1938, le choix du parrain nous permet de connaître une autre relation de Carlos et Maria Augusto : il s'agit d'un fonctionnaire, employé du Commissariat au chômage, résidant non loin de la famille Augusto, mais dans une zone plus résidentielle d'Alcântara, la Calçada da Tapada. La marraine est l'épouse du parrain. Le couple Augusto ne possède apparemment aucun lien de parenté ni avec les témoins du mariage, ni avec le parrain ou avec la marraine de leur fils.

À partir de ces éléments, sans aucun doute partiels, on peut dégager deux caractéristiques de l'environnement relationnel où évoluait ce couple à la fin des années 1930. Tout d'abord, on note pour les deux familles l'ancrage, au moins depuis une génération, et peut-être davantage du coté de l'épouse, dans le bloc de rues autour de la Rua da Cruz. Un ancrage qui ne signifie pas forcément une stabilité résidentielle complète, tout au long de la vie. Il a pu y avoir des départs, mais jamais définitifs jusqu'en 1938. L'autre caractéristique concerne l'ouverture du champ relationnel de ce couple de condition modeste vers les professions du secteur tertiaire (un fonctionnaire), des ouvriers qualifiés (un serrurier) et, du point de vue spatial, vers d'autres zones du quartier de composition sociologique différente. Dans ce cas particulier, le quartier d'Alcântara est une catégorie qui fait sens pour expliquer la nature du réseau relationnel des époux Augusto. En effet, les relations de ce couple ne se limitent pas au voisinage, stricto sensu mais ont tendance à se concentrer dans l'espace du quartier.

Dans les années 1930, certains facteurs continuent à jouer un rôle important dans le processus de diversification des réseaux de relations. Entretenir un lien fort avec la région de la Beira intérieure constitue encore un atout. Il en est ainsi des couples, Alvaro et Maria Gomes ou Francisco et Alexandrina Ferrão. Tous les quatre sont originaires de Seia. On trouve une trace unique du premier en 1932, il habite Rua da Cruz. Alvaro Gomes a alors 23 ans et sa femme 20 ans. Leur fils est légitime. Le couple a donc célébré un mariage. Nous ne savons pas où, mais probablement en dehors d'Alcântara. Dans le cas contraire, l'information aurait été portée en marge du registre. Le parrain est employé municipal, domicilié Rua do Sol, dans la paroisse de Santa Catarina, proche du centre-ville. La marraine vit avec le parrain. De leur côté, Francisco et Alexandrina Ferrão habitent Rua Feliciano de Sousa. Tout ce que nous savons d'eux se limite aussi au contenu d'un seul acte. Francisco Ferrão est né à Seia en 1892. Son épouse est née dans la même commune en 1895. À la naissance de leur fille, en 1931, ils sont donc déjà assez âgés, respectivement 39 et 36 ans. Là encore, nous ne savons rien du lieu du mariage. Nous pouvons seulement supposer que les mariages de ces couples ont probablement été célébrés à Seia. Le parrain de la fille Ferrão est employé de la CUF et domicilié dans la paroisse civile d'Ajuda, tout comme la marraine.

Dans ces deux exemples, le compérage ne semble recouvrir aucun lien de parenté. Les profils de ces deux couples sont assez similaires : même parcours migratoire, même statut professionnel modeste. À partir des maigres indices dont nous disposons, il semble que leurs environnements relationnels soient aussi de même nature. Les choix au moment du parrainage concordent sur deux points : les relations qu'ils mettent en avant témoignent d'une ouverture au-delà de l'espace résidentiel mais aussi du groupe social d'origine. Finalement, le quartier, ramené ou non aux limites de la paroisse civile, ne s'impose pas ici comme espace de référence.

Pour les années 1930, on pourrait aussi citer des cas où le recrutement du parrain en dehors du milieu social d'origine concerne des couples liés à la ville par l'intermédiaire de la lignée maternelle. Un lien féminin avec la ville apparaît, une fois de plus, comme un atout dans le processus de diversification des relations sociales. Mais nous voudrions conclure l'étude de ces relations des pères manœuvres par un exemple qui fait intervenir le problème de l'instabilité des déclarations professionnelles.

Il s'agit du couple Joana et Eduardo Augustinho, domicilié en haut de la Rua da Cruz durant les années 1930. Il est le protagoniste de trois actes de naissance entre 1929 et 1937. Eduardo Augustinho est né dans la paroisse d'Alcântara en 1905. Ses parents étaient originaires de la commune de Montalegre, à la frontière de la Galice, tout au nord du Portugal. Lors de son mariage en 1929, son père est décédé. Ce dernier a probablement fini ses jours à Lisbonne. À cette date son épouse Maria da Piedade, mère d'Eduardo Augustinho, est en effet domiciliée Rua Possidónio da Silva, dans la paroisse d'Alcântara, mais sur l'autre versant du vallon. La famille de Joana Augustinho est installée à Lisbonne depuis plus longtemps. La mère de Joana est née dans la paroisse d'Alcântara, son père dans la paroisse de Belém. Elle-même voit le jour dans la paroisse d'Alcântara en 1910. En 1929, les parents de Joana Augustinho vivent Travessa da Fiuza, non loin de la Rua da Cruz, en direction de la zone du Calvário. Nous ne connaissons pas la profession qu'exerçait le père de Joana Augustinho à cette date. Le couple Augustinho se marie donc en 1929, dans la paroisse d'Alcântara. Il habite déjà Rua da Cruz et ne changera plus de domicile au cours de la décennie suivante. Le jour de son mariage, Eduardo Augustinho déclare être ouvrier (operário). Le frère d'Eduardo et sa femme assistent à la cérémonie en qualité de témoins : Mario Augustinho est aide-ferronnier, sa femme est simple « ménagère" (doméstica). Ils habitent aussi Rua da Cruz. Les époux Eduardo et Joana Augustinho ont une fille en 1935. Il s'agit probablement de leur premier enfant, bien que nous n'ayons aucune certitude sur ce point. Nous savons juste qu'entre janvier 1930 et juillet 1935 aucun enfant n'est enregistré à l'état civil par un couple Augustinho domicilié Rua da Cruz. En juillet 1935, Eduardo Augustinho déclare la profession de tisserand. Le parrain de la fille est employé municipal. Il vit avec la marraine Rua Feliciano de Sousa. En 1937, Joana et Eduardo Augustinho ont une autre fille. Cette fois le père déclare être un simple manœuvre. Un nouveau couple, domicilié Rua Feliciano de Sousa, est choisi pour parrainer l'enfant. Lui est cocher (cocheiro).

Nous possédons une vision assez précise du milieu où évoluait le jeune couple Augustinho durant les années 1930. Les deux partenaires, qui partagent un même enracinement familial dans le quartier d'Alcântara, ont surtout tissé des relations avec leur proche voisinage. D'après ce que nous savons, le milieu qu'ils fréquentent est assez diversifié : un frère ou beau-frère ouvrier qualifié (aide-ferronnier), un fonctionnaire municipal, et un voisin qui exerce la profession de cocher, un des ces petits métiers urbains qui peuvent renvoyer à des conditions très incertaines et auxquels il est difficile d'associer a priori un statut économique bien précis. On pourrait donc conclure à l'existence d'un réseau de relations individuelles diversifié sur le plan social, mais limité sur le plan spatial au quartier, voire au proche voisinage. Nous avons déjà observé de telles pratiques relationnelles dans les années 1930, en les associant à un enracinement familial ancien dans le quartier.

On omettrait alors de tenir compte de l'instabilité des déclarations professionnelles d'Eduardo Augustinho. Durant la dizaine d'années que dure l'observation, celui-ci se présente tour à tour comme étant un ouvrier, un tisserand, puis un manœuvre. Ces trois déclarations, on le sait, peuvent très bien correspondre à une même condition professionnelle. Dans les années trente, Eduardo Augustinho est un ouvrier peu qualifié qui a probablement travaillé, sans interruption ou seulement durant quelque temps, dans un des petits ateliers de tissage d'Alcântara qui ont survécu à la crise des années vingt. Il est néanmoins possible de discerner une autre logique dans l'instabilité de ces déclarations. La valorisation du statut d'Eduardo Augustinho dépend aussi du milieu professionnel d'où sont issus les témoins ou les parrains. On peut en effet remarquer une certaine harmonisation entre les statuts sociaux affichés au moment des différentes déclarations : ouvrier/aide-ferronnier ; tisserand/employé municipal ; travailleur/cocher. Sans doute, retrouve-t-on ici à l'œuvre toutes les logiques que nous avons essayé de repérer à travers les séquences de déclarations instables 754 . Mais au-delà du processus individuel qui conduit à chaque déclaration, cet exemple permet d'éclairer les phénomènes d'interdépendance qui donnent corps à chaque relation père/parrain. Tant au niveau de l'acte de déclaration que du lien social que nous cherchons à saisir et à comprendre, les positions et les fonctions des pères et des parrains ne peuvent être séparées. La relation père/parrain tient aussi du double lien et nous retrouvons là une notion chère à Norbert Elias. Notre enquête nous conduit à nous soucier de la« circularité de l'interdépendance des fonctions" 755 . Même si, compte tenu de la pauvreté de nos informations et de leur inégale répartition entre les différents acteurs de la relation, ce projet est difficile à mettre pleinement en oeuvre.

Notes
751.

On rappelle que la Beira intérieure regroupe un ensemble de communes d'où sont originaires au moins vingt individus durant les deux périodes.

752.

Nous faisons ici référence à des travaux portant sur la société française du XIXe siècle, comme ceux de Paul-André Rosental ou de William Sewell.

753.

Ces questions sont évoquées dans le chapitre 3, dans le cadre de l'analyse du contenu des actes.

754.

Voir chapitre 5.

755.

Nathalie Heinich, La sociologie de Norbert Elias, op. cit., p. 88.