La présentation des données

Cette opération de classification et de codification réalisée, il nous a fallu déterminer une méthode précise d'observation. Les théories d'analyse des réseaux, la théorie des graphes, les méthodes d'analyses factorielles ou multivariées nous offrent des outils mathématiques complexes mais séduisants 776 . Notre objectif est ici de trouver un mode de présentation de nos résultats, sous la forme de tableaux ou de graphiques, qui soit le plus intelligible et le plus clair possible. La plupart des modèles mathématiques reposent sur le postulat que les données traitées peuvent être décomposées en séries quantitatives de qualité homogène. Or, pour notre part, nous nous sommes confrontés à d'énormes écarts d'effectifs et donc de potentialité heuristique. Nous n'avons qu'une connaissance partielle des phénomènes et tout ce que nous observons ne fait pas forcément sens. L'application rigoureuse d'une méthode d'analyse sophistiquée aurait pu aboutir à des résultats absurdes. Il fallait ne pas perdre de vue le contexte de production des données et mettre l'accent sur le commentaire, en refusant de tout interpréter a priori.

Le recours à des instruments mathématiques ou à des représentations graphiques doit être bien maîtrisé. On doit répondre à des besoins précis, en l'occurrence l'interprétation de données, tout en en restant fidèle à des problématiques 777 . On cherche ici à vérifier que la profession des pères n'explique pas à elle seule les pratiques relationnelles des couples. Dans un premier temps, on peut donc mettre en relation les trois paramètres suivants : profession du père et profession du parrain, en fonction du type de lien avec la ville entretenu par le couple.

Les graphiques de type radar paraissent relativement adaptés à ce genre de démarche. On a donc créé, pour chaque rue et pour chaque période, un graphique qui permet de visualiser la propension des couples qui possèdent un lien précis avec la ville, avec une région, ou aucun lien spécifique à choisir une certaine catégorie de parrain. L'effectif des parrains est reporté sur l'axe correspondant, ceci pour chaque catégorie de couple. L'opération a été répétée pour les trois catégories professionnelles de pères. Pour chaque rue et chaque période, ont été créés quatre graphiques, dont un qui représente les pratiques de l'ensemble des couples (état d'indépendance).

La forme des figures représentées sur le graphique dépend des différentes valeurs prises par le statut professionnel du parain. Or, ce paramètre a été ramené à un nombre de variables différent suivant les périodes : le code 0 ne se rencontre qu'au début du siècle, quand le parrain est employé de l'église. Pour les besoins de la représentation graphique, nous avons réuni les deux catégories : employés de l'église et professionnels non qualifiés (codes 0 et 3). Cette option nous évite de comparer la position de quadrilatères (quatre types de parrains) avec celle de triangles (trois types de parrains). La nouvelle catégorie ainsi créée, a été baptisée les «désaffiliés". On pense évidemment à Robert Castel qui a placé cette notion au centre de son propos. La définition qu'il en donne correspond assez bien à notre interprétation des liens avec les travailleurs ou avec les employés de l'église. Il s'agit de cerner des zones de vulnérabilité et de retracer des parcours qui conduisent« de l'intégration à la vulnérabilité", ou font basculer de la« vulnérabilité dans l'inexistence sociale" 778 . De ces parcours, nous ne retenons pour notre part que l'ambiance relationnelle qui laisse présager une faiblesse des ressources et des opportunités.

La position de chaque triangle par rapport aux axes nous renseigne sur le type de relation sociale entretenu par la catégorie de couples en question. Une position équidistante sur les trois axes – la figure prend alors la forme d'un triangle équilatéral – correspondrait à des pratiques relationnelles parfaitement équilibrées entre les trois catégories de parrains. Quand un type de relation n'est pas observé au sein d'un groupe, la figure géométrique se résume à un segment de droite qui se confond avec l'un des axes du repère. Une situation que nous pouvons observer dans le graphique (2), page 473, pour les couples qui possèdent un lien fort avec la Beira intérieure.

Nous avons travaillé à partir d'effectifs très variables, d'une quarantaine à un ou deux individus. Dans les graphiques, les données ne sont pas converties en pourcentage. Cette information apparaît en revanche dans les tableaux à double entrée qui accompagnent chaque graphique 779 . Les écarts intéressants seront indiqués au fil du texte. On propose donc deux niveaux de lecture des données : les graphiques permettent de visualiser la fréquence des comportements pour chaque catégorie de couple mais aussi leur importance quantitative par rapport à l'ensemble de la population ; les tableaux de pourcentages facilitent la comparaison entre chaque sous-groupe du corpus.

La taille des polygones est fonction de l'effectif du groupe concerné : plus le polygone est étendu, plus le groupe d'individus en question est représenté dans la rue 780 . Le principal problème à résoudre lors de l'élaboration de ces graphiques a été le choix de l'échelle. Pour des questions de lisibilité, chaque graphique possède une échelle différente. Cela rend moins commode la comparaison à vue d'œil de la position et de la taille des différents polygones dans chaque graphique. Mais les autres solutions comportaient encore plus d'inconvénients : une échelle unique rendait la plupart des figures illisibles ; une échelle logarithmique effaçait tout contraste dans la représentation des différents comportements en raison de la faiblesse des effectifs en jeu. On demandera donc aux lecteurs un peu de gymnastique visuelle 781 .

Notes
776.

Philippe Cibois, L'analyse factorielle, Paris, PUF, 2000 (1e édition 1983), 127 p. ; A. Degenne et M. Forsé, Les réseaux sociaux, op. cit., notamment chapitres 3 et 4.

777.

Jean-Luc Pinol, André Zysberg, Métier d'historien avec un ordinateur, Paris, Nathan Université, 1995, p. 214.

778.

R. Castel, Les métamorphoses…, op. cit., pp. 19-20.

779.

Dans ces tableaux, les catégories de parrains 0 et 3 (employés de l'église et travailleurs) ont été dissociées.

780.

L'aire du polygone n'est cependant pas proportionnelle à l'effectif. La forme du polygone dépend aussi de la répartition des catégories professionnelles de parrains dans les relations des couples en question.

781.

Nous avons aussi adapté les légendes en fonction de la position des différents polygones.