c) Les années 1930 : une ville où les opportunités se font plus rares

Pour bien mesurer l'évolution des pratiques dans les années 1930, il faut évidemment tenir compte des changements de contexte, notamment en ce qui concerne le rapport à la ville. On étudie désormais une population plus citadine. Le lien avec Lisbonne est ancien, une grande part des habitants des deux rues y sont nés. La relation avec le quartier est aussi plus solide. Les couples qui possèdent un lien fort avec Alcântara ne font plus figure d'exception. De manière plus sournoise, en raison de notre mode d'observation, l'évolution du marché de l'emploi et des statuts professionnels, d'ailleurs pas toujours positive au niveau d'Alcântara, a pu aussi peser sur les modifications des comportements.

En guise de première approche, on peut remarquer que le lien avec la ville ou le statut migratoire des couples ne semble plus jouer un rôle aussi important qu'au début du siècle. Les figures qui représentent les comportements de chaque catégorie de couples sont orientées de façon plus symétriques les unes par rapport aux autres [graphiques (5) à (8) et (e) à (h), pages 489 à 496]. À première vue, il est plus difficile de repérer des différences de positions ou de pratiques à partir de ce seul critère. Par ailleurs, une grande part des relations interindividuelles se joue au sein de la catégorie des professions qualifiées. Notre classification des statuts professionnels peut donc masquer les phénomènes intéressants. On sait qu'au sein de la catégorie des professions qualifiées, les employés de commerce adoptent à cette époque des pratiques autonomes. La forte cohésion de la catégorie des professions qualifiées est probablement aussi le résultat d'une série de cohésions internes à des sous-groupes qui n'ont pas toujours été repérés. Les graphiques (5) et (e) qui représentent les comportements de l'ensemble des couples quelle que soit la profession des pères, permettent de visualiser ce double phénomène. On peut noter la relative régularité des figures toutes orientées en direction des professions qualifiées. De telles représentations tranchent avec la forte asymétrie des graphiques (1) et (a) qui portent sur les années 1900.

On peut avoir une confirmation de l'existence de ce processus de rapprochement des vécus en fonction des statuts migratoires en calculant les écarts-types de chaque série statistique. Cette opération ne peut être menée que pour l'ensemble des couples, sans distinguer les statuts professionnels des pères. On a dû aussi supprimer les effectifs trop faibles dont les pourcentages présentaient des marges d'erreur trop importantes 792 . Le tableau 8.3 porte donc sur les catégories de statuts migratoires les plus représentées. En sont par exemple exclus les couples qui possèdent un lien fort avec Alcântara au début du siècle, ou un lien fort avec la Beira intérieure dans les années 1930.

Tableau 8.3 : La part du facteur migratoire Écarts-types pour les séries de pourcentages qui portent sur l'ensemble des couples, quelle que soit la profession du père.

(a) lien avec une profession qualifiée
(b) lien avec un emploi
(c) lien avec un désaffilié ou une profession non qualifiée

Malgré ces différentes approximations et manipulations des données, le calcul des écarts-types nous apporte un éclairage intéressant 793 . Le degré de dispersion des comportements se réduit considérablement dans la Rua da Cruz entre les deux périodes, et nettement moins dans la Rua Feliciano de Sousa. Dans cette rue, aux deux époques, le niveau de dispersion est toujours supérieur à celui de la Rua da Cruz. Par ailleurs, au début du siècle, les liens avec les ouvriers sans qualification dépendaient étroitement du statut migratoire. Dans les années trente, ce facteur devient moins important et quasi négligeable dans la Rua da Cruz. Est-ce à dire que l'absence de statut professionnel valorisant ne peut plus être compensée par une relation privilégiée et efficiente avec la ville ou avec une région ? Évidemment, on ne va pas se contenter de cette vision superficielle des choses. On sait bien que tout se joue souvent à la marge. Cependant, ce premier regard d'ensemble nous permet d'attirer l'attention sur deux problèmes que nous allons devoir traiter au fil de notre commentaire : les différences de comportements entre les populations des deux rues ; l'éventuel processus d'exclusion des individus qui ne déclarent aucune qualification.

Dans les années 1930, c'est le niveau de qualification qui donne le ton. L'aspect général des graphiques et la position des triangles sont calqués sur les comportements enregistrés chez les couples où les pères ont déclaré une profession qualifiée, c'est-à-dire le statut professionnel le plus courant à cette époque. Cela se traduit visuellement par une nette similitude entre les graphiques (5) et (6) d'une part, et (e) et (f) d'autre part, abstraction faite des changements d'échelle. Bien sûr les facteurs repérés pour le début du siècle, qui touchent surtout à l'origine des individus, continuent à jouer un rôle, mais pas toujours le même.

En l'espace d'une génération, on assiste en effet à un renversement de l'action de certains facteurs ou statuts. Pour un couple, le fait de posséder un lien fort avec le quartier d'Alcântara s'est transformé en un atout. On l'observe parmi les habitants de la Rua da Cruz, comme chez ceux de la Rua Feliciano de Sousa. Que les maris ou compagnons déclarent une profession qualifiée ou non, ces couples sont plus enclins à fréquenter des individus qui revendiquent un emploi Rua da Cruz, graphiques (6) et (8) ou une profession qualifiée (Rua Feliciano de Sousa). Certes, on ne note pas des écarts très importants. Dans la Rua da Cruz, l'univers des travailleurs et des manœuvres n'est jamais très éloigné. Mais c'est justement quand ces couples en sont directement issus qu'ils bénéficient d'une ouverture sensible de leurs horizons relationnels.

Le fait de ne posséder aucun lien avec la ville demeure un handicap. C'est d'autant plus vrai que cette population n'est plus forcément associée aux statuts professionnels les plus faibles. Dans ce groupe, une majorité de maris ou de compagnons exercent une profession qualifiée, aussi bien dans la Rua da Cruz que dans la Rua Feliciano de Sousa. Pourtant ces couples connaissent un déficit relationnel réel. Ils éprouvent plus de difficultés à accéder à l'univers des emplois et ils demeurent souvent en contact avec des statuts sociaux inférieurs. Chez les professionnels qualifiés, c'est cette catégorie de couple qui est le plus proche du groupe des manœuvres. Néanmoins pour la série de graphiques qui portent sur les pratiques des habitants de la Rua da Cruz, il vaut mieux se reporter aux tableaux correspondants tant les écarts sont faibles. Dans la Rua Feliciano de Sousa, les écarts sont plus nets. Il semble que cet espace soit moins accueillant pour les nouveaux arrivants. Les couples étrangers à la ville fréquentent un milieu composé pour un quart d'ouvriers sans qualification, contre un peu plus d'un dixième pour l'ensemble des couples. Quand le père déclare une profession qualifiée, cette proportion avoisine 17%, soit près de trois fois plus que les valeurs observées pour l'ensemble des couples graphique (f).

Si l'absence d'information sur la ville semble moins pénalisante, la diversité des parcours et des expériences est en revanche moins payante. Il n'existe pas de grand bouleversement, à peine un affaiblissement des avantages associés aux liens masculins ou féminins avec Lisbonne, et même aux liens forts avec la ville. Dans la Rua da Cruz, les couples qui possèdent un lien féminin avec la ville ne bénéficient plus de positions privilégiées dans le jeu relationnel local. Les écarts avec la situation d'indépendance deviennent très faibles, et négligeables quand le mari ou compagnon ne déclare pas de profession qualifiée 794 . On observe la même évolution chez les couples de lisboètes de souche. Là encore, le statut migratoire est presque impuissant face aux déterminismes socioprofessionnels. La relation à la ville constitue d'ailleurs aussi un avantage, pour la simple raison que le père peut très souvent revendiquer une qualification graphique (6) 795 . Rua Feliciano de Sousa, le facteur migratoire conserve néanmoins une certaine importance. On peut difficilement faire abstraction de l'origine des couples dans la lecture des résultats. On enregistre cependant des phénomènes contradictoires : le lien féminin est plutôt un atout, le lien fort avec Lisbonne ne favorise pas l'ouverture du champ relationnel des couples. Le lien féminin garde un intérêt quand le statut professionnel du père n'est d'aucun recours graphique (h).

Les conséquences du dernier type de statut migratoire que nous allons tester peuvent difficilement être mesurées à partir de nos résultats. Les liens forts avec la Beira intérieure ou avec une autre région sont trop peu fréquents pour donner lieu à une analyse suffisamment poussée. Rua da Cruz, les couples issus d'un courant migratoire dominant occupent le bas de l'échelle sociale. Les pères sont pour la plupart des ouvriers sans qualification. Le lien communautaire leur permet de se dégager de leur environnement socioprofessionnel immédiat. Pour la Rua Feliciano de Sousa, on parvient au même type de conclusion mais à partir d'effectifs encore plus réduits et donc avec des marges d'erreur plus importantes.

Au fur et à mesure que nous progressons dans l'analyse des relations interindividuelles chez les habitants des deux rues dans les années 1930, nous enregistrons un affaiblissement de l'influence de certains facteurs qui expliquaient les comportements durant la première période. Notre dispositif d'observation devient moins efficace. D'un point de vue pratique, cela signifie que l'association des parcours migratoires à l'échelle du couple est moins révélatrice des opportunités offertes, indépendamment du statut socioprofessionnel individuel. On pourrait parler de réduction du champ des possibles. Pour un nouveau venu à Lisbonne, le fait d'épouser ou de vivre maritalement avec une lisboète de souche ne permet plus, ou permet moins, de diversifier ses relations sociales et donc d'entamer un processus d'affiliation à l'univers urbain. L'effacement du rôle du statut migratoire s'inscrit aussi dans un contexte de renforcement de l'importance du statut professionnel dans la définition des positions individuelles.

Ce processus n'apparaît pas forcément très clairement dans nos résultats. Certains aspects des représentations graphiques peuvent notamment prêter à confusion. Les graphiques (7) et (g) peuvent laisser penser que le fait de posséder un emploi n'est plus un facteur de distinction par rapport à l'univers des professions qualifiées. On note en effet que les couples sans lien – ni avec la ville ni avec une région –, ou qui possèdent un lien féminin avec Lisbonne ou un lien fort avec la Beira intérieure, sont davantage en contact avec le monde des «métiers" que celui des «emplois". Si on y regarde de plus près, pour la Rua Feliciano de Sousa, parmi les 12 liens observés entre des couples dont l'homme déclare un emploi d'une part, et des individus issus du monde des professions qualifiées d'autre part, 7 sont le fruit de relations entre des emplois et des professions du secteur du commerce (employé de commerce, commerçant, voyageur de commerce). Le même phénomène se produit pour les habitants de la Rua da Cruz : 11 des 17 liens de ce type traduisent aussi des proximités entre des individus qui ont un emploi et des salariés ou petits entrepreneurs du secteur du commerce (employé de commerce, négociant, commerçant, coiffeur, barbier).

De ces dernières observations nous pouvons tirer deux séries de conclusion. La première touche à la logique de nos classifications. Les professions du commerce penchent davantage du côté de l'univers des emplois et la cohésion observée dans les pratiques relationnelles des employés de commerce est sans doute la marque d'un processus d'affirmation et d'autonomisation de l'ensemble de ce groupe social qu'on pourrait apparenter à la classe moyenne. Dans ces deux rues d'Alcântara, à la veille des années 1940, ce groupe assez effacé et qu'on avait associé dans un chapitre précédent aux classes populaires (chapitre 5), témoigne d'une grande cohérence dans ses comportements relationnels, quelles que soient les origines individuelles 796 . La deuxième conclusion concerne la fonction du statut professionnel qui s'impose comme une source quasi exclusive d'explication de ces comportements. Peu de couples échappent à ce déterminisme. C'est donc un espace social relativement figé qui surgit. Les voies de passage entre les groupes sont moins fréquentes et elles ne dépendent plus des choix migratoires et résidentiels, ni de leurs combinaisons à l'échelle du couple.

Tableaux 8.4. : Écarts en pourcentage avec la situation d'indépendance chez les couples associés à un lien de parenté déterminé sur la base d'indices patronymiques – 1930-1939
Tableaux 8.4. : Écarts en pourcentage avec la situation d'indépendance chez les couples associés à un lien de parenté déterminé sur la base d'indices patronymiques – 1930-1939

Il existe encore une piste à explorer, celle du rôle de la famille dans les stratégies relationnelles. Sur ce point, on ne note pas de grandes différences entre les deux périodes. Nous nous contentons encore une fois de commenter les résultats qui nous semblent le plus clairement établis, c'est-à-dire ceux qui portent sur des effectifs acceptables ou qui sont corroborés par d'autres observations. Comme au début du siècle, les liens avec la parenté proche ne s'intègrent pas dans des stratégies relationnelles. Nous n'avons décelé aucune corrélation intéressante entre la fréquentation d'un parent proche et l'environnement social des habitants des deux rues. En revanche, la présence de parents éloignés témoigne parfois de la volonté de diversifier ou au contraire de consolider les univers relationnels. Nous avons repris comme indice les écarts avec la situation d'indépendance, c'est-à-dire avec celle qui concerne l'ensemble des couples de chaque catégorie professionnelle (tableau 8.4.). Pour la Rua da Cruz, les résultats sont comparables durant les deux périodes. La proximité des écarts observés chez les couples dont le père déclare une qualification est même étonnante. Dans les années 1930, il existe une meilleure concordance entre les résultats dans les deux rues. Le commentaire élaboré à propos du contexte des années 1900 peut donc être quasiment repris tel quel pour décrire les pratiques rencontrées vingt ans plus tard. Ces liens de parenté qui sont suffisamment éloignés pour ne pas être notifiés dans les actes de l'état civil témoignent d'une certaine orientation des stratégies relationnelles. Mais les premiers bénéficiaires sont surtout les couples qui jouissent déjà du statut assuré par la qualification professionnelle. La présence de parents n'est pas un indicateur de rupture avec le milieu d'origine. Elle est au contraire la marque de parcours de continuité et d'ancrage social.

Jusqu'ici, nous avons tenté de mettre en évidence un processus d'évolution des pratiques relationnelles. Au fur et à mesure qu'on progresse dans le siècle, les modes de formation des groupes dépendent de plus en plus des statuts professionnels individuels. Ce constat se base sur nos observations directes des comportements des habitants des deux rues d'Alcântara durant les années 1900 et durant les années 1930. Mais il ne tient pas compte des écarts entre les pratiques observées dans les deux rues. Nous n'avons pas cherché à mener une étude comparée des structures et des comportements sociaux repérables dans ces deux territoires urbains. Cependant, tout au long de cette étude, un des leitmotivs a été d'insister sur les différences de structures démographiques et sociales entre la Rua da Cruz et la Rua Feliciano de Sousa au début du siècle, et sur la similitude des deux ensembles dans les années 1930. Le rapprochement s'est opéré grâce à une grande continuité au niveau de la Rua Feliciano de Sousa et une forte évolution dans la Rua da Cruz. Par l'expression «structure démographique et sociale", on entend notamment l'origine de la population, les pratiques matrimoniales et les appartenances socioprofessionnelles des individus. Au début du siècle, les lisboètes de souche sont plus fréquents parmi les habitants de la Rua Feliciano de Sousa. La population de cette rue occupe globalement des positions sociales plus élevées. Les professionnels qualifiés y sont plus nombreux que dans la Rua da Cruz.

Au niveau des comportements relationnels, on note aussi des dissemblances. On n'y a guère fait allusion pour le début du siècle. Il est vrai que dans ce cas, le phénomène pouvait être attribué aux légères différences dans la nature du peuplement des rues. Dans les années 1900, les couples lisboètes de souche occupent des positions relationnelles plus solides quand ils habitent Rua Felicianao de Sousa, même si l'homme ne revendique aucune qualification professionnelle. Mais la relation entre la structure sociodémographique de la population et les pratiques relationnelles n'est pas aussi simple. Deux décennies plus tard, une plus grande similitude dans la nature du peuplement des deux rues n'a entraîné qu'un rapprochement partiel des comportements relationnels 797 . Les couples de la Rua Feliciano de Sousa évoluent toujours dans des environnements relationnels plus riches, quel que soit le statut professionnel de l'homme. Ils fréquentent notamment plus souvent des individus qui possèdent des emplois. Le fait de ne posséder aucune qualification est moins pénalisant si on habite Rua Feliciano de Sousa. La comparaison peut être menée à statut migratoire égal, en particulier quand le couple possède un lien féminin avec la ville graphiques (h) et (8).

Bien sûr d'autres facteurs peuvent intervenir dans le processus de distinction des pratiques relationnelles. Nous construisons notre réflexion à travers une vision tronquée des phénomènes. Notre propre mode d'observation peut d'ailleurs être directement mis en cause, notamment en ce qui concerne les classifications des statuts professionnels. La distinction entre emploi et profession qualifiée est peu précise. On a pu mal évaluer la situation professionnelle de certains hommes dont les déclarations dans les registres de l'état civil ne traduisaient qu'imparfaitement le statut réel. Ce biais a pu toucher les couples de la Rua Feliciano de Sousa dans une plus grande proportion.

Malgré tout le constat demeure : dans les années trente, une légère dissemblance de peuplement, voire une quasi-similitude, coïncidait avec une divergence disproportionnée des comportements. Ce phénomène n'est pas sans rappeler l'organisation de la communauté de Winston Parva, en Angleterre, où les différences de structures ne suffisaient pas à expliquer la hiérarchisation des statuts entre les zones et les rues ouvrières 798 . Dans ces quartiers de banlieue d'une grande ville industrielle des années 1960, la durée de résidence dans la cité était à l'origine d'un processus de clivage entre les «anciens" et les «nouveaux" habitants. Les formes d'organisation des communautés et notamment le degré de cohésion de leurs membres contribuent aussi à la définition et à la circulation des modèles normatifs. Dans le cadre de notre enquête, il est impossible de reconstituer ces processus qui transparaissent uniquement à travers une analyse plus fine des rapports sociaux 799 . Reste que dans la Rua Feliciano de Sousa des années 1930, les relations sociales sont sans doute influencées par la diffusion d'une image collective plus valorisante.

Il a pu exister un décalage dans le temps. L'information qui sert de base à l'élaboration des modèles autour desquels se forgent les stratégies ou les simples pratiques ne correspond pas forcément à la situation présente. Les différences passées ont pu être gardées en mémoire. Dans les années 1930, à statut égal, les habitants de la Rua Feliciano de Sousa ont une vision plus positive de leur destin individuel et adoptent en conséquence des stratégies relationnelles plus dynamiques. Il s'agit là de l'une des explications possibles.

On peut aussi faire intervenir la notion de systèmes de valeurs, introduite dans l'introduction de ce chapitre. En fonction des parcours de vie, c'est-à-dire des expériences individuelles, la vision du milieu social environnant de ce qui est bon pour soi ou par sa famille peut changer. Certains comportements relationnels peuvent ainsi paraître illogiques du point de vue des critères courants de distinction socioprofessionnelle ou d'évaluation des situations locales. Entre le début du siècle et les années 1930, le système de valeurs des couples qui possèdent un lien fort avec Alcântara se modifie. Durant la première période, ces couples se distinguent des lisboètes de souche. Leurs univers relationnels témoignent de l'adoption de systèmes de valeurs décalés par rapport au modèle le mieux partagé qui se définit par la valorisation d'un capital social aussi minime soit-il, la recherche d'opportunités, le désir d'échappée et d'ascension sociale. Dans les années 1930, les comportements et les systèmes de valeur qui les sous-tendent s'uniformisent.

À un autre niveau de différenciation des populations en fonction des espaces de résidence, on observe le même type d'opposition entre habitants de la Rua da Cruz et de la Rua Feliciano de Sousa. Dans les années 1930, à statut socioprofessionnel et migratoire équivalent, les habitants de ces deux rues continuent à avoir une perception légèrement divergente de leur position et de leur parcours passés et futurs, dans et hors ce milieu.

Période 1930-1939
Univers relationnels des couples de la
Rua da Cruz [graphiques (5) à (8)]
et de la
Rua Feliciano de Sousa [graphiques (e) à (h)]
Tableau sur la base des pourcentages, graphiques sur la base des effectifs

ensemble des pères

Graphique (5) :
Graphique (5) : Rua da Cruz 1930-1939 L'ensemble des pères

pères qui ont déclaré une qualification

Graphique (6) :
Graphique (6) : Rua da Cruz 1930-1939 Les pères qui ont déclaré une qualification

pères qui ont déclaré un emploi

Graphique (7) :
Graphique (7) : Rua da Cruz 1930-1939 Les pères qui ont déclaré un emploi

pères sans qualification

Graphique (8) :
Graphique (8) : Rua da Cruz 1930-1939 Les pères sans qualification

ensemble des pères

Graphique (e) :
Graphique (e) : Rua Feliciano de Sousa 1930-1939 L'ensemble des pères

pères qui ont déclaré une qualification

Graphique (f) :
Graphique (f) : Rua Feliciano de Sousa 1930-1939 Les pères qui ont déclaré une qualification

pères qui ont déclaré un emploi

Graphique (g) :
Graphique (g) : Rua Feliciano de Sousa 1930-1939 Les pères qui ont déclaré un emploi

pères sans qualification

Graphique (h) : Rua Feliciano de Sousa 1930-1939
Graphique (h) : Rua Feliciano de Sousa 1930-1939 Les pères sans qualification
Notes
792.

On a décidé arbitrairement que la limite d'effectif acceptable était de 20 couples pour la Rua da Cruz et de 15 couples pour la Rua Feliciano de Sousa.

793.

On justifie ici en quelque sorte par l'absurde que l'approche mathématique globale n'était pas la bonne, d'où la nécessité de procéder à partir des effectifs bruts.

794.

Les écarts sont respectivement de : +0,5/-2,5/+2 pour l'ensemble des pères ; +5,6/-0,7/-4,9 quand le père déclare une profession qualifiée ; +1,8/+1,1/-2,9 quand le père ne possède aucune qualification professionnelle (dans l'ordre : liens avec une profession qualifiée, un emploi et un désaffilié).

795.

Chez les couples lisboètes de souche, les écarts avec la situation d'indépendance sont de +1,2/+1,3/-2,5 quand le père déclare une profession qualifiée et de +9,3/-8/-1,3 quand le père est un simple manœuvre.

796.

Le phénomène n'est pas forcément nouveau dans les années 1930. Mais au début du siècle, pour ce groupe aussi, l'origine des individus et la composition des couples conservent une grande incidence sur l'orientation sociale des relations.

797.

Selon nos classifications, 9,3 % des pères de la Rua da Cruz déclarent un emploi, contre 10,7% dans la Rua Feliciano de Sousa. La proportion de pères sans qualification est presque identique dans les deux rues : 26,2% dans la Rua Feliciano de Sousa, contre 25% dans la Rua da Cruz.

798.

N. Elias, J. L. Scotson, Logiques de l'exclusion…., op. cit.

799.

Dans le cas de Winston Parva, c'est l'étude des commérages qui sert de cadre d'observation.