Conclusion

Notre recherche a été organisée autour de deux grandes problématiques. Nous souhaitions tout d'abord apporter une contribution à l'histoire sociale du Portugal contemporain. Alcântara devait alors servir de lieu d'observation des processus de transformation d'un milieu urbain à l'époque de l'industrialisation. Il n'était pas question de se lancer dans une monographie de quartier. Les sources réunies n'auraient certainement pas permis de suivre avec suffisamment de précision l'évolution de cet espace urbain. L'objectif était plus modeste et visait essentiellement à saisir ce qu'on pourrait appeler, faute de mieux, un contexte social. La deuxième problématique, plus fondamentale, était orientée vers l'étude des formes de cohésion sociale dans ce milieu urbain spécifique. On souhaitait s'intéresser à la pluralité des sociétés urbaines et examiner certains modes d'interaction entre des groupes et des individus dont on devinait la diversité des positions, des statuts et des trajectoires. On se plaçait dans le cadre d'une étude de quartier mais le problème de la définition a priori d'un cadre spatial était provisoirement résolu. Il s'agissait d'étudier le quartier pour ce qu'il est et non pour ce qu'il n'est pas, c'est-à-dire un lieu de rencontres et non un lieu de mouvements.

Notre démarche a emprunté à différents courants historiographiques : à l'histoire des sociétés urbaines plutôt qu'à une histoire urbaine proprement dite, mais aussi à la démographie historique ou à l'histoire sociale du salariat, pour ne faire référence qu'aux thèmes principaux. Il y avait bien sûr un risque de dispersion. Mais nous avions défini un objet – le milieu urbain – dont l'étude demandait un questionnement ample. C'était la ville comme« phénomène total" que l'on souhaitait faire surgir 800 . L'interdisciplinarité est depuis longtemps reconnue comme l'un des moteurs du progrès des sciences sociales 801 . Mais les spécialisations internes aux disciplines se sont en revanche accentuées et ont parfois conduit à une vision tronquée des phénomènes : des analyses de nature démographique qui s'intéressent à l'évolution des sociétés mais qui ignorent la complexité des définitions des statuts socioprofessionnels ; des analyses du monde du travail qui ne tiennent pas compte des modes d'insertion des activités dans les milieux environnants. Une histoire sociale d'un milieu urbain doit chercher à rompre, autant que possible, avec ces frontières intradisciplinaires.

Nous avons par ailleurs adopté une démarche expérimentale. L'objet de la recherche s'est construit au fur et à mesure que nous progressions dans nos connaissances. Des thèmes nouveaux ont été intégrés au questionnement général et ont parfois fini par occuper une place inattendue. La découverte et l'examen intensif d'une source ont aussi entraîné une redéfinition des approches et des points de vue, notamment en ce qui concerne les processus de définition des identités individuelles. Le bilan de l'utilisation de cette source constitue en soi un apport de cette recherche.

Notes
800.

Bernard Lepetit, «La ville : cadre, objet, sujet...", op. cit., p. 16.

801.

Pour une analyse systématique de l'apport des échanges interdisciplinaires dans la production des connaissances : Susanna Magri, «Bourgeoisies – Emprunts interdisciplinaires dans l'étude d'un groupe social", Genèses, nº44, septembre 2001, pp. 145-164.