Troisième partie. « NOT THE GRAVEST OF DIVINES? »

Introduction

Actually, modern critics do not want theology at all; what they seek in the sermons is reinforcement for readings they have constructed for Tristram Shandy and A Sentimental Journey.[...] The sermons are [...] consulted only as they might provide oats for one’s hobby‑horse, that is, for one’s reading of Sterne’s fictions. Indeed, few documents have been more poorly read, I believe, than Sterne’s sermons, in part because we come to them after his fictions, in part because we read them not only as literary critics but as readers for whom "theological matters" is a phrase without a significant idea attached to it. (New, 1996, V, xii)

Il suffit de remplacer Sterne par Swift et Tristram Shandy et A Sentimental Journey par A Tale of a Tub et Gulliver’s Travels pour obtenir un diagnostic très précis de la manière dont l’homilétique swiftienne a été envisagée et analysée, ou plus exactement, n’a jamais réellement été analysée. Il existe à ce désintérêt des raisons historiques et sociologiques, parmi lesquelles l’exclusion du religieux du champ épistémologique, notamment en France, figure en bonne place. En outre, l’homilétique est envisagée exclusivement en termes théologiques et non littéraires. Or une telle conception n’a pas cours au dix-huitième siècle, où les traités d’homilétique abondent et où le sermon est au contraire considéré comme un genre littéraire à part entière et tenu en haute estime. S’il faut en croire son biographe, Johnson estimait ainsi qu’une bibliothèque était fort incomplète si elle ne contenait pas une collection importante de sermons 273 .

De telles raisons expliquent en partie que le versant religieux de l’œuvre de Swift ait été quasi exclusivement envisagé en termes biographiques, l’exemple le plus caricatural d’une analyse faite dans cette perspective étant l’ouvrage du Chanoine Looten, La pensée religieuse de Swift et ses Antinomies (Looten, 1935). Les sermons ne sont lus qu’en tant qu’ils permettent d’apporter une réponse à l’éternelle question de « ce que Swift croyait vraiment » et le texte n’a de valeur que symptomatique. Cette « réponse » prend en outre la forme d’un argument circulaire reposant sur une pétition de principe. Le dépouillement des sermons swiftiens a été maintes fois souligné tant il paraissait surprenant, même au regard de l’impératif esthético-idéologique du « plain style » qui caractérise l’homilétique de l’époque. Mais un tel dépouillement a là aussi été lu en termes non stylistiques mais biographiques : la simplicité apparente des sermons de Swift révèle la tiédeur des sentiments religieux de celui‑ci, en ceci qu’elle témoigne du désintérêt de Swift envers la prédication, désintérêt qui lui‑même traduit une foi chancelante. Une telle interprétation relève bien moins d’une lecture attentive des sermons qu’elle ne traduit une volonté d’étayer la construction mythographique de l’irréligion, voire de l’impiété, de Swift.

Les sermons swiftiens ont cependant été parfois envisagés dans une perspective stylistique, par François Boulaire par exemple dans le cadre de sa thèse sur Le Sermon anglican en Irlande à l’époque de la reine Anne (Boulaire, 1987). Mais de telles analyses s’arrêtent bien souvent au constat de l’extrême simplicité des prédications de Swift, simplicité surprenante en comparaison de bien d’autres sermons de l’époque, mais aussi par rapport à la virtuosité stylistique qui caractérise les satires. Celles-ci, implicitement ou explicitement, constituent la référence en fonction de laquelle les sermons sont analysés, et faute de soutenir la comparaison posée en ces termes-là, les sermons sont déclarés peu dignes d’intérêt. Ils ne constituent certes pas la meilleure prose swiftienne, mais leur intérêt est ailleurs, et d’abord en ce qu’ils posent la question des rapports complexes et ambigus qu’entretiennent depuis toujours homilétique et rhétorique. Par ailleurs, l’homilétique swiftienne pose, comme toute homilétique, la question fondamentale de l’enchevêtrement de la voix propre du sermonnaire et de la Parole qu’elle transmet, et celle des modalités d’inscription de cette voix propre dans le texte du sermon. Si cette inscription prend la forme d’une rhétorique qui confère aux sermons swiftiens leur singularité, peut-on aller jusqu’à affirmer que celui-ci ne s’exprime pas in propria persona mais derrière le masque d’une personaadaptée aux besoins rhétoriques du sermon ?

Notes
273.
Boswell, Life of Johnson, Together with Boswell’s Journal of the Tour of the Hebrides and Johnson’s Diary of a Journey into North Wales. Ed. George Birbeck Hill, rev. L. F. Powell, Oxford, Clarendon Press, 1934-1950, IV, pp. 105-106.