Chapitre 1. RHÉTORIQUE ET CHRISTIANISME

La défiance à l’égard de la rhétorique est une constante du discours swiftien sur le langage, dans ses œuvres satiriques comme dans ses écrits théologiques. Dans A Tale of a Tub, l’habileté rhétorique est ainsi présentée comme synonyme de duperie (Tale, p. 46) et Swift réaffirme dans sa Letter to a Young Clergyman sa méfiance à l’encontre d’une éloquence certes séduisante mais qui détourne les hommes de Dieu, et qui loin de favoriser la communication, l’entrave :

Dans le plus réflexif de ses sermons, ‘Upon Sleeping in Church’, Swift affirme par ailleurs :

Se trouvent résumées ici bon nombre d’objections traditionnelles à la rhétorique classique : la rhétorique s’adresse aux passions et non à la raison, conception traditionnelle de la passion comme maîtresse d’erreur et de fausseté, qui s’oppose à la raison et la trouble, empêchant l’homme de parvenir à la vérité (to stir up Men’s Passions against Truth and Justice). De plus, la rhétorique est l’art des apparences trompeuses (to put false Colours upon Things, a perfect Cheat), emportant indûment l’adhésion de l’auditoire grâce à des ornements qui le séduisent et troublent son discernement (by an Amusement of agreeable Words, make the worse Reason appear to be the better). Est également établie une dichotomie elle aussi traditionnelle entre rhétorique et homilétique, entre human Oratory et Christian Eloquence : si les discours humains requièrent la séduction de la rhétorique (enticing Speeches), c’est qu’ils n’ont pas la force de la Parole divine qui s’impose du seul fait de sa puissance et de sa Vérité (in plain Evidence of the Spirit, and Power).

Swift s’inscrit ainsi dans une tradition bien ancrée de défiance à l’égard de la rhétoriquee, et d’une vision qui veut qu’homilétique et rhétorique soient fondamentalement antagonistes. Comme bon nombre de prédicateurs toutefois, Swift est amené à nuancer cette opposition de principe, et surtout à avoir recours à une rhétorique qui ne s’avoue pas comme telle.